« Ecouter Susana RINALDI ou l’orchestre LOS REYES del TANGO en concert, c’est être assuré d’une soirée exceptionnelle et riche en émotions artistiques » ( Avant Propos de mon recueil de nouvelles » Avec un Tango à Fleur de Lèvres «
Si j’éprouve aujourd’hui le besoin de mettre à nouveau en valeur la musique vivante, c’est que lors de l’organisation récente, par l’Association Tango -Paty des » Milongas des Vendanges » à Caromb, début octobre, la question de la musicalisation s’est à nouveau posée pour notre équipe animatrice. Et, si la satisfaction a été presque générale, nous avons été un peu étonnés par les remarques de quelques participants, quant au coût et à la pertinence de notre choix, alors que le plaisir des danseurs était visible, dans une milonga qui, malgré l’affluence, tournait en communion quasi parfaite avec l’orchestre choisi » Orquesta Triptica ».
Sans forfanterie, j’ai pu dire que l’ambiance était proche de celle des milongas portègnes, lorsqu’un orchestre s’y produit et c’est heureusement plus fréquent que chez nous, par émulation entre les nombreux organisateurs. Quand « Los Reyes del Tango » ou » Color Tango » s’affichent au Club Boedo ou au Canning, l’affluence est immédiatement plus dense et le dynamisme de la milonga est manifeste. Mais quand un orchestre plus modeste, fut-il du quartier, se produit dans une milonga de barrio, moins connue et sans touristes, l’ambiance peut être survoltée…Et l’écoute est religieuse, car les Argentins savent entendre et apprécier la musique. Dans toutes les milongas auxquelles nous avons participé, il est de règle de ne pas danser sur le premier morceau, voire sur la première tanda, pour se donner le temps de découvrir et jauger l’orchestre. Outre les applaudissements qui suivront, c’est le temps du respect pour le travail des artistes dont on sait qu’ils ont déchiffré, répété, fait des choix, et donc passé du temps à la préparation des soirées où ils se produisent, pour le plaisir des danseurs. Et ceux-ci savent apprécier et manifester leur enthousiasme, quitte à interrompre la danse comme nous l’avons vu à Boedo, un soir où les « Papys » du bandonéon de « Los Reyes del Tango » terminaient leur prestation debouts, un pied sur un tabouret, en exaltant les marcatos… et les trilles virtuoses.
Trois orchestres, trois lieux: « Orquesta Unitango » à El Moran, « Los Reyes del Tango » à La Confiteria Ideal, « Misterioso » au Teatro Mandril
Comment les musiciens français ne se sentiraient-ils pas ignorés ou déclassés quand la préoccupation principale des organisateurs balance entre le plaisir à donner aux danseurs et la « rentabilité » de la milonga ? Et le choix penche donc souvent en faveur des DJs, car il s’agit alors d’un seul intervenant , alors que l’orchestre, c’est plusieurs musiciens, donc un cachet plus conséquent, des frais de déplacements plus élevés, des hébergements et repas en conséquence, des exigences pour la sonorisation et la scène… Le calcul est vite fait, et on habillera alors la manifestation de la réputation supposée ou reconnue des Djs, voire de duos mano à mano, quatuors ou listes des musicalisateurs présentées comme prestigieuses, comme vient de le faire un organisateur d’encuentro… On rencontrera même parfois la tentation de proposer la musique enregistrée et souvent « remastérisée« , comme plus authentique que les interprétations des orchestres !
Et pourtant, quand « Color Tango » reprend Pugliese sous la direction de Roberto Alvarez, qui fut bandonéoniste, compositeur et arrangeur dans la orquesta du Maître Compositeur, il ne donne pas une imitation servile, mais une version personnalisée et néanmoins fidèle… Avec l’intervention ponctuelle d’un jeune chanteur qui enrichit l’interprétation en ajoutant lui aussi sa touche personnelle, artistique et émotive… D’ailleurs, « Color Tango » n’a pas à hésité à se lancer en 2005, dans un concert et disque « Pugliese inedito », qui retravaille sur des manuscrits du Maître et des compositions des musiciens, en hommage à Don Osvaldo. C’est bien là un travail artistique original qui se démarque nettement de la simple musicalisation par un DJ. A l’écoute du CD, on allèguera que tout n’est pas dansable, mais les Argentins savent faire la distinction entre la partie concert et la partie bal. En tout état de cause, ce travail mérite d’être reconnu, y compris financièrement.
On comprend que les milongas modestes ne se lancent pas dans des risques financiers. Mais heureusement, un certain nombre d’organisateurs savent prendre celui d’engager un orchestre, et certains ensembles consentent de leur côté à négocier leur cachet pour avoir le plaisir de montrer leur travail et d’en faire don aux danseurs. Des festivals de réputations diverses cherchent même les nouveaux talents et révèlent de nouvelles formations. Notre association Tango-Paty, depuis sa création en 2010, a choisi plusieurs fois de mettre en valeur des Orchestres: » Silencio », « La Tipica Imperial », » le Cuarteto Rotterdam », » Cachivache », « Los Dos Amigos », « Mundo Yengue » … parfois en concert dans les rues de Caromb, village devenu pour quelques instants la petite Buenos Aires provençale. Tant mieux, si de nombreuses autres associations font le même choix, car c’est une façon vivante de former le goût musical des danseurs et d’inciter aussi ceux-ci à porter plus d’attention à la musicalité. Ce qui justifie les stages de plus en plus nombreux sur ce thème. Quand des musiciens comme J. Amenabar ou V. Simon les animent, c’est pour beaucoup de danseurs, une révélation pour redécouvrir la musique… et la marche en rythme ! J’y reviendrai.
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La Orquesta Triptica, à La Milonga des Vendanges à Caromb, et sa chanteuse, Maria Belen.