Plusieurs amis, et notamment Carlos Zito, journaliste à l’affût des manifestations culturelles insolites, nous parlaient depuis longtemps du Salon de Coiffure « La Epoca », Guyaquil 877 ( métro ligne A, Primera Junta ) et avant de quitter Buenos Aires, nous avons enfin réussi à nous y rendre. Ce moment là a été inoubliable, et dans le droit fil de ce que nous recherchons dans la Capitale pour enrichir notre approche du tango. Le lieu est d’ailleurs à juste titre déclaré d’intérêt culturel. Dans un espace restreint mais haut en couleurs, c’est à la fois un salon de coiffure à l’ancienne et un café, lieu de peñas le jeudi et le vendredi à 16 heures
Une porte ouvre sur le café et une autre sur le salon de coiffure à l’ancienne où officient, en gilet damassé, deux figaros à la belle prestance. Les clients bénéficient de peignoirs raffinés en tissu original. Le lieu a conservé ses instruments et appareils anciens: boule pour chauffer les serviettes, réchaud pour les fers à friser, tondeuses et ciseaux de toutes dimensions… Les placards vitrés qui garnissent les murs regorgent de produits cosmétiques et parfums anciens en tous genres: un vrai musée de la coiffure qui déborde sur le trottoir où sont alignés des casques de couleur. Bref à la fois un salon de coiffure et un salon d’antiquités.
En parallèle, jouxtant une paroi vitrée, dans un espace large comme un couloir, un bar est installé avec de petites tables rondes et un garçon stylé, en gilet rouge s’affaire à y servir Quilmes et cortados. Le grand moment est celui des peñas du jeudi et du vendredi, vers 16 heures, qui réunit fidèlement des habitants du quartier, venus là partager leur amour du tango et de la musique folklorique. Accompagnés par un bandonéoniste discret qui improvise pour chaque intervenant et souligne les commentaires de présentation, défilent des personnages pittoresques: on se croirait dans un film de Fellini mais avec le côté passionné et passionnant du tango populaire, chanté sans prétentions artistiques extrêmes, mais avec tellement de coeur ! Il faut côtoyer l’amateur qui classe ses letras, patiemment réécrites à la main pour mesurer l’importance de ces instants de culture populaire partagée. Souvent, toute la salle accompagne en coeur et les applaudissements se font chaleureux pour remercier l’intervenant. On est à des lieues de certaines milongas sophistiquées ou élitistes. Emus, nous nous faisions discrets, mais les habitués ont vite manifesté une attention particulière aux Français de passage, signe de l’hospitalité argentine. Besos y abrazos quand nous avons quitté tout le monde sur le trottoir, échappant difficilement aux témoignages de reconnaissance pour notre présence. Un très grand moment, simple mais très émouvant !