LA ZAMBA, UNE DANSE D’AMOUR.

Lors des récentes Milongas du Printemps Baroque, évoquées dans l’article précédent sur Marcelo Rojas, notre Association Tango-Paty avait voulu offrir aux danseurs un intermède folklorique de qualité. Les statuts prévoient en effet de promouvoir la culture argentine, si possible en présentant un spectacle vivant et en aidant les artistes à se produire. Le tango n’est seulement qu’une facette de la danse argentine et les danses folkloriques sont encore très largement pratiquées dans tout le pays et plus particulièrement dans le Nordoeste ( voir mon article précédent du 29/11/2014 sur cette région ). Elles sont à l’honneur, avec les chants correspondants, dans toutes les fêtes populaires et commémorations nationales. Les danseurs de tango connaissent au moins la chacarera pratiquée en intermède dans de nombreuses milongas portègnes, mais il y a plusieurs autres danses, la plus belle esthétiquement étant la zamba. On peut voir danser le folklore à Buenos Aires dans quelques peñas, et surtout à la Feria de Mataderos, chaque dimanche en dehors des vacances d’été, autour d’asados copieux et de stands d’empanadas. Dans cette feria, ce sont les gens du peuple qui maintiennent la tradition, qu’ils arborent ou non le costume gaucho.

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A la feria, nous avons rencontré deux couples sympathiques et particulièrement élégants dans la danse.

Au cours des années précédentes, notre association avait déjà eu l’occasion d’établir un partenariat avec Sylvie Thomas de Saavedra, initiatrice de la Semana Argentina. Grande artiste du folklore argentin, elle faisait des voyages à Santiago Del Estero, haut lieu du folklore argentin, et un de ses derniers projets, avant sa disparition, préparait l’émergence d’une troupe d’amateurs défavorisés pour leur organiser une tournée en Europe. Sylvie était d’une grande élégance, plus particulièrement dans la Zamba mais aussi d’une belle énergie dans le maniement des bombos, tambours dont le jeu des baguettes est aussi important que la percussion de la peau. Sa générosité l’avait poussée à initier un petit groupe de notre association à diverses danses et en revoyant ces photos, comment ne pas avoir une pensée émue pour elle ?

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Sylvie et Rocco dans la zamba et aux bombos.

Rocco Sedano, son ancien partenaire, danse maintenant avec Sabrina Llanos Tarragona et, le samedi 12 avril, ils nous ont offert une belle prestation de danses folkloriques, dont une magnifique zamba, toute en élégance et en sensualité. Pour les apprécier, rejoignez You Tube pour voir leurs divers enregistrements.

La zamba hérite d’une danse péruvienne la zamacueca ou cueca, dansée aussi au Chili sous le nom de chilena et rebaptisée marinera lors du conflit entre Perou et Chili. Selon les pays ou les régions, mais aussi selon ses interprètes, elle est plus ou moins rapide, mais c’est toujours une danse de séduction. Les “panuelos”, les foulards, tenus dans la main et agités par les deux partenaires ajoutent d’autant plus de charme à la danse qu’ils servent à captiver et capturer l’autre. Sur un poème langoureux, c’est un jeu chorégraphique galant qui symbolise le jeu amoureux, où l’homme cherche à captiver la femme qui se dérobe pour mieux se laisser enjôler. C’est aussi le jeu de la vie avec ses espoirs et ses dérobades. De magnifiques musiques soutiennent cette danse et l’une des plus connue est “Luna Tucumana” chantée entre autres par Mercedes Sosa qui a interprété de nombreuses autres zambas. Il est intéressant aussi de noter que les artistes dansent  le plus souvent dans un costume gaucho approprié. Pour plus de détails on peut consulter divers sites et notamment celui de la ville de Salta: http://www.portaldesalta.gov.ar à la rubrique zamba. On y trouve même des conseils pour apprendre la danse, par ailleurs enseignée dans quelques cours précédant les milongas à Buenos Aires.

par chabannonmaurice

UN WEEK END AVEC MARCELO ROJAS à CAROMB (Vaucluse)

Nous avons rencontré Marcelo ROJAS à Buenos Aires, voici quelques années déjà, à La Confiteria Idéal où il était au pupitre de la Milonga « TangoIdeal ». Comme c’est un artiste chaleureux, qu’on peut facilement approcher, Hélène Chabrier, mon épouse, qui voulait se perfectionner dans le travail de DJ qu’elle abordait alors, lui a demandé des conseils techniques et musicaux. Différents entretiens qui ont suivi nous ont permis de découvrir son éclectisme et sa convivialité car Marcelo, malgré sa notoriété, n’est jamais prétentieux et n’a jamais gardé pour lui les ficelles de son métier. Nous avons eu l’occasion de le voir en action dans différents festivals en Argentine, « Ladies-Tango » en particulier, de le rencontrer dans plusieurs milongas, et surtout, de passer deux moments nocturnes avec lui dans les studios de la radio « LA 2X4″ où il gére une discothèque fabuleuse. Son savoir dans le domaine musical et son énergie communicative font merveille dans cette radio où le tango se ressource 24 heures sur 24. C’est là que son visage s’illumine et que ses yeux plissés pétillent, autant que lorsqu’il constate qu’une milonga tourne bien, en symbiose avec sa musique. En décembre 2013, il nous a reçus à la radio pour nous faire visiter les studios et pour assister au passage en direct de deux orchestres alors en tournée portégne,  » Cachivache » et un étonnant trio japonais, « Los Fandangos », où l’impassibilité des visages des musiciens contrastait avec la virtuosité de leur jeu.

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A la radio: Marcelo devant la discothèque des vinyles; la bannière qu’il promène dans le monde entier; l’ensemble japonais en enregistrement.

Marcelo parcourt le monde et musicalise un peu partout, particulièrement cette année où il sera dans les plus grandes manifestations : Festival de Saint Geniez d’Olt, Tangopostale à Toulouse, Festival d’Aix les Bains et Festival de Tarbes où il animera un cycle de formation dédié aux DJs. Il n’en reste pas moins un homme simple qui met rarement en avant ses compétences reconnues ( Prix Martin Fiero de la meilleure programmation musicale en 2009 ), ni les relations qu’il entretient avec le réseau du tango, animateurs de milongas, créateurs de festivals et danseurs de réputation mondiale comme Chicho Frumboli ou Pablo Veron. Il est fidèle en amitié et en 2014, suite à nos rencontres, il avait accepté de venir à Caromb pour les Milongas du Printemps organisées par notre association Tango Paty. A la demande générale et après une nouvelle entrevue en novembre 2014, à la radio, il est revenu cette année, et c’est un honneur et un plaisir de voir figurer notre petit village au milieu des grands lieux du tango. La musique qu’il a diffusée a, cette fois encore, fait la quasi unanimité par son énergie ascendante, jamais relâchée, son éclectisme du choix des interprétations et l’humour de ses commentaires… Il a même tenu à enregistrer en direct un moment de la soirée de gala du samedi pour le diffuser simultanément sur la 2X4 argentine et  la milonga de Caromb a eu ainsi l’honneur d’être transposée à Buenos Aires. Merci Marcelo, pour la musique et pour l’amitié ! 

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Marcelo déploie la bannière de la radio 2X4 devant le Palais des Papes à Avignon en 2014. Le trio gagnant des DJs des Milongas du Printemps baroque à Caromb en avril 2015

par chabannonmaurice

LE TANGO ARGENTIN EST-IL COMPATIBLE AVEC L’ISLAM ?

  En découvrant le Japon, voilà trois ans, je m’étais déjà étonné du fait que, dans un contexte où la culture et la bienséance conduisent les gens à éviter tout contact physique en public, le tango ait suscité un tel engouement. Comment imaginer l’abrazo dans un pays où, même dans le métro, on parvient à éviter tout effleurement ? J’ai alors imaginé le personnage de Fudeko dans mon recueil de Nouvelles  » Avec un tango à fleur de lèvres « , publié à compte d’auteur en 2011. Et tous ceux qui sont allés à Buenos Aires, ont observé que certaines milongas sont un lieu de prédilection pour les Japonais. Ils ont pu aussi constater que de jeunes musiciens se sont confrontés avec succès à la pratique du bandonéon au point de jouer en concert avec les plus grands orchestres argentins ! Le tango est donc compatible avec la culture asiatique…et on le danse aussi en Chine et sans doute ailleurs.
   Mais qu’en est-il pour les pays musulmans où les interdits religieux marquent fortement la vie sociale et culturelle ?  J’avoue avoir été très étonné, il y a quelques années, d’apprendre que des milongas et des festivals se tenaient régulièrement à Istanbul ou à Casablanca. Nous participons depuis deux ans au Festivalito de tango de Marrakech  qui est une réussite due à Antoinette BK, DJ bien connue au delà de sa région.  Je constate, avec cet événement, qu’il y a un monde entre la vie quotidienne des Marocains, les contraintes de la coutume et les règles de l’Islam d’une part, et l’univers du tanguero, aussi ouvert soit-il sur les rencontres sociales provoquées par le tango. Et pourtant nous avons dansé dans un établissement proche de la Koutoubia ou dans des riads appartenant à des propriétaires musulmans. En suscitant un grand intérêt par le spectacle insolite d’une Milonga dans un tel cadre, et on souhaite même nous voir revenir…! Mieux, des Marocaines se lancent dans notre danse, trouvant, semble-t-il difficilement un partenaire masculin, car les hommes hésitent plus. En discutant avec certaines d’entre elles, j’ai perçu une volonté de liberté, assez visible d’ailleurs dans la population jeune des villes. Des milongas font ainsi leur place peu à peu, non seulement à Casablanca, ville ouverte, mais également à Rabat. 

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Danser le tango devant la Koutoubia, une des mosquées les plus célèbres du monde musulman ?

Mon ami, André Vagnon, fin connaisseur de l’histoire, grande ou petite du tango ( http://www.bibledutango.com ) m’a rappelé que le père de la démocratie turque, Kemal Ataturk, avait fait du tango un emblème démocratique de l’émancipation. Aussi incitait-il ses ministres à le danser et il donnait l’exemple, les femmes renonçant du coup au voile traditionnel lorsqu’elles entraient sur la piste. J’incite les amateurs à consulter la rubrique documentée de La Bible du Tango : ils y verront comment la greffe à pu prendre aussi bien qu’en Finlande ou en France, suscitant des compositions et adaptations locales… Le même site répertorie également du tango en Jordanie…
Mais qu’en est-il malgré tout dans le contexte actuel où les soubresauts religieux et les cruautés extrémistes mettent au premier plan le problème de la tolérance et celui de la place des femmes ? Qu’en est il de la danse considérée comme un moyen d’expression? Je me garderai bien de me livrer à une exégèse du Coran que je ne connais pas suffisamment. Remarquons cependant que la beauté et la sensualité de la femme tiennent une place de choix dans les danses orientales et dans diverses représentations iconographiques des scènes de la vie quotidienne, notamment des harems. Mais surtout, rappelons que les plus grandes œuvres littéraires ont exalté la femme et la convivialité, les plaisirs de la vie et de l’amour, avec le versant souffrance de l’abandon, thèmes récurrents du tango. Relisant récemment un des grands poètes persans Omar Khayyam, j’ai retenu deux des 170 quatrains passés à la postérité : ils auraient pu inspirer des letras de tango.

« Nuit. Silence. Immobilité d’une branche et de ma pensée. Une rose, image de ta splendeur éphémère, vient de laisser tomber un de ses pétales. Où es-tu en ce moment, toi qui m’a tendu la coupe et que j’appelle encore ?  Sans doute aucune rose ne s’effeuille près de celui que tu désaltères là bas, et tu es privée du bonheur amer dont je sais t’enivrer.»

« Du vin ! Mon coeur malade veut ce remède ! Du vin, au parfum musqué ! Du vin, couleur de rose ! Du vin pour éteindre l’incendie de ma tristesse. Du vin et ton luth aux cordes de soie, ma bien aimée ! »

On comprend, à lire ces poèmes, que son auteur ait pu être mis à l’index voire persécuté par les fanatiques. On voit aussi que le fond de la culture arabe et persane  n’est pas incompatible avec tout ce qu’exalte le tango argentin. 

par chabannonmaurice