« Et la Ville est en moi comme un poème Qu’en vain j’aurai tâché de figer en paroles » J.L. BORGES ( Fervor de Buenos Aires )
Discutant récemment avec une connaissance qui a fréquenté assidûment Buenos Aires, je lui demandais s’il y retournait bientôt et je fus quelque peu interloqué par sa réponse quand il me rétorqua que ce n’était plus nécessaire car on dansait aussi bien, sinon mieux en Europe, notamment dans les nombreux encuentros dont il est un adepte et un des animateurs. Sans polémiquer sur ce point de vue, je l’ai rapproché de celui d’une autre animatrice d’association d’un pays voisin qui m’affirma qu’elle n’était jamais allée à Buenos Aires et que ce n’était pas nécessaire, car c’était une autre culture. Justement …
Alors pourquoi chaque année, en général à la fin du printemps ou au début de l’été, suis-je repris par la nostalgie de cette ville que j’ai déjà vantée dans des articles précédents ? Pourquoi suis-je étreint par une vive émotion lorsqu’à la fin d’un séjour, l’avion du retour vers la France survole la Capitale argentine? Jamais, en quittant d’autres villes où nous avons séjourné plusieurs fois, je n’ai eu la même sensation, sauf peut être avec Beyrouth, au Liban. Certes, l’attrait des milongas et de leur ambiance particulière suscite le désir d’y danser et d’y rencontrer des partenaires argentins: c’est le thème de la conférence que je donnerai à Tarbes sur « Les milongas argentines : un rendez vous social ». Certes il y a toute l’ambiance culturelle riche, celle des nombreuses librairies de Corrientes, du Teatro Colon, des peñas, des animations de rue…Et encore les retrouvailles chaleureuses avec le réseau d’amis et de connaissances que nous avons tissé depuis 2008. On pourrait aussi s’attacher à la cuisine, aux vins et à la convivialité argentine… sans parler des superbes paysages du pays.
Mais il y a plus dans cette ville, et je l’ai un peu mieux analysé en lisant un article de César Magrini: » Fondation mythologique de Borges « dans les Cahiers de l’Herne ( 2°édition 1981 – 39 euros ) dont je recommande la lecture pour mieux comprendre et « mériter Borges » comme le souligne l’avant propos. « Buenos Aires ressemble à une de ces femmes dont les hommes tombent amoureux sans qu’on puisse en donner une explication. Des femmes pas exactement belles, ayant connu une adolescence âpre … L’histoire de Buenos Aires est celle de l’amour qu’on lui a donné.» Cette analyse de Magrini se rapporte alors à Borges, l’un de ces amoureux de Buenos Aires qui a parcouru pendant un demi siècle les rues de la ville, dont il écrit qu’elles sont « les entrailles de son âme» . Magrini, retraçant l’histoire géographique, économique, architecturale et sociale de Buenos Aires, constate que son désordre, son agitation et souvent une certaine laideur désorientent, mais en conclut : « j’oserais dire que la beauté, ou le charme de Buenos Aires, est justement là, dans la somme ou l’ensemble de ses laideurs, qui ainsi s’harmonisent, se compensent, s’adoucissent mystérieusement.»
Borges a été un des poètes de cette ville et son livre initial est un recueil de poèmes « Fervor de Buenos Aires » dont chaque pièce est une déclaration d’amour à l’âme de la ville et plus particulièrement au barrio de Palermo. Un second livre « Lune d’en face » renforce ce viscéral attachement. « mais Buenos Aires m’a pénétré de sa lumière et c’est de cette lumière de rues que je pétris les vers de ma vie, de ma mort.» ( Lune d’en Face « Rue de l’épicerie rose »)
Vamos a volver a Buenos Aires.