DE L’IMPORTANCE DU CHANT ET DES CHANTEURS.

  Dans la conférence que je donne ce vendredi 22 août à Tarbes, j’ai trouvé important d’illustrer celle ci par l’intervention de deux chanteurs,  Chantal Bruno et Gérard Cardonnet, qui interprèteront in vivo quelques uns des morceaux que je cite, tangos, vals, milongas et folklore. Ils m’ont déjà accompagné dans une présentation du même ordre à Vaison la Romaine en 2014. Chantal et Gérard travaillent leur voix de longue date, à Nîmes, avec Judit Maian, et leur association « Chant’ Son Al Sur″ fait la part belle aux interprétations individuelles et collectives, et, à travers le chant, à la promotion du tango et de la culture argentine, dans un enthousiasme collectif communicatif ( voir le site JuditMaian.com ).

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                             Chantal et Gérard en action…

C’est que le « tango cancion″ a l’intérêt de mettre l’éclairage sur le rôle important des « cantores″ interprétant les textes poétiques des letras. Pour enrichir la partition musicale et son interprétation par l’orchestre,  l’intervention sensible et personnalisée d’une voix, ou d’un duo, devient complémentaire des instruments. Le tango traduit alors toute la symbiose entre la musique et le texte, par la combinaison des registres musicaux et vocaux. La tradition du chanteur est liée à l’histoire évolutive du tango. Dans « 50 Claves del Tango » Laura Falcoff ( Editions Golden Company – 2011- Buenos Aires ) distingue quatre types de chanteurs. Le chanteur national est issu originellement du répertoire folklorique et pampeano et incorpore peu à peu le tango : c’est le cas de Gardel ou Charlo. Le chanteur de refrain a pris sa place dans l’orchestre sur une initiative de Francisco Canaro qui limite son intervention à un petit fragment de la letra, souvent le refrain ( estribillo). Mais progressivement le chanteur veut sortir de l’ombre, marquer de sa personnalité et de son talent le morceau chanté, et il passe au premier plan en interprétant la totalité de la letra : c’est le chanteur d’orchestre, dont certains, choisis par les chefs, forment avec lui un couple passé à l’immortalité : Troilo-Fiorentino ou d’Agostino-Vargas. Certaines de ces vedettes abandonnent les orchestres pour entamer une carrière de soliste, quatrième  type de chanteur, reprenant un répertoire de concert, souvent accompagné à la guitare ou quelques instruments, avec des tangos mais aussi d’autres morceaux : les plus célèbres sont Goyeneche, Julio Sosa et Edmundo Rivero. Ecoutez celui ci chanter la vals, hommage de Gardel  » A mi Madre ″!  N’oublions pas les chanteuses qui s’immiscent vigoureusement au premier plan et auxquelles Jean Luc Thomas consacre tout un chapitre, sous le titre       « Malena for ever » dans son album « Tangos » ( Solar_ Paris- 2004 ) Après Tita Merello ou Ada Falcon, Susana Rinaldi, Amelita Baltar, Nelly Omar et bien d’autres ont pris la relève et aujourd’hui, de nombreux chanteurs de tous âges font encore les belles soirées des peñas, sans parler des anonymes qui n’hésitent pas à créer l’intermède dans les milongas et dans les bars. Une très vieille dame chantant « Nostalgias » d’une voix fluette mais émouvante, à La Aurora , rue Corrientes, reste pour moi un souvenir indélébile. Quant aux grands chanteurs encore en activité, Godoy, Podesta, véritable trésors vivants, ils font l’objet d’un respect infini et d’une écoute respectueuse, à la hauteur de leurs talents.

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                             Deux chanteurs amateurs dans des milongas.

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                      Podesta au « Nuevo Chique » et Godoy au « Canning ».            

Reste la question de la danse et de la place du tango chanté dans le répertoire des DJs et orchestres. Restent les réactions des danseurs qui affichent leur aversion pour les chanteurs qui, selon eux, casseraient la belle mélodie du tango ou de la valse. Ils admettent souvent mieux les milongas chantées. Et domine de plus en plus l’engouement pour le chant,  surtout chez les danseurs qui travaillent la musicalité et captent l’atmosphère du tango par l’interprétation du chanteur… Le débat reste ouvert, mais pour ma part, je sens mieux la danse avec l’aide du chant, à l’exception de quelques morceaux où la place prise par le chanteur et les libertés qu’il se donne pour être au premier plan, risquent de faire perdre le fil du tiempo, mais n’est ce pas alors l’écoute qui est stimulée ?  

par chabannonmaurice

A PROPOS DU SPECTACLE  » VALSER « 

Le spectacle présenté le 19 juillet à Vaison la Romaine, dans le cadre du programme 2015 de VAISON-DANSES, n’a pas fait l’unanimité si l’on en juge par les sorties prématurées de spectateurs, les échos recueillis à la sortie, et les articles des journaux locaux et nationaux. Après avoir fait l’éloge de l’éclectisme exigeant de la programmation du festival, ‟Le Figaro”, dans un article daté du 21 juillet, s’amuse de ces réactions de danseurs qui n’entendent pas, comme la chorégraphe, faire valser les codes du tango. Et c’était d’autant plus sensible que dans la région, Catherine Berbessou et Fédérico, son partenaire, qui donnent des stages à guichet fermé à Avignon, ont leurs inconditionnels et leurs détracteurs.

C’est que, comme son titre ne l’indique pas précisément, la chorégraphie imaginée par Catherine Berbessou, porte effectivement sur la vision qu’elle a du tango. Or parmi les adeptes, d’autant plus nombreux qu’ils avaient été alléchés par plusieurs associations qui avaient fait la promotion de la soirée, chacun a sa propre idée de cette danse mythique et du coup, sa propre pratique. Sans parler de l’idée qu’on se fait de la musique, traditionnelle ou innovante, et la bande son est pourtant écrite par Anita Paz, reconnue comme fine pratiquante de la musicalité mais qui n’hésite pas à introduire les tambours du Burundi !  Il n’est donc pas étonnant que les amateurs d’un tango traditionnel aient été déçus par ce ballet évoluant dans une arène de sable qui l’assimile à la tauromachie et présente des signes visibles de violence. Catherine Berbessou dit elle même qu’elle est convaincue que le tango est un combat, ‟ qu’il est bagarreur ”, comme le présentait Borges, mais qu’il peut se transformer en fête. Elle avoue que ‟ c’est une façon de casser les codes de la perfection, du propre, du policé, trop souvent liés au tango, et de dégager une puissance phénoménale ” ( programme de la soirée du 19 juillet 2015 ). Rendons hommage à la jeune troupe du Capitole de Toulouse et à Kader Belarbi, danseur étoile et chorégraphe, pour avoir traduit avec énergie cette intention avec un dynamisme réjouissant.

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Déjà, dans son ouvrage ‟ Tango, le couple, le bal et la scène” ( Autrement, collection Mutations 2008 ), Christophe Apprill analysait la chorégraphie initiale(1999) de la directrice d’une compagnie à laquelle il a appartenu entre 1998 et 2003. Il montre, dans les pages 104 et suivantes, comment le choix délibéré de la chorégraphe ‟ met en exergue l’affrontement dans un corps à corps qui n’a rien d’harmonieux ”. A propos du moment où le danseur repousse sa partenaire pour aller fumer, il écrit : ‟ A cet instant, l’imaginaire stéréotypé du tango s’écroule : prendre dans ses bras une femme est devenu insupportable”. Réfléchissant sur les choix scéniques, il s’interroge sur les rapports entre la danse sociale et l’art : ‟ La proposition de la chorégraphe contient les germes d’un questionnement sur les termes de la pratique: s’agit-il d’une danse, d’un art, d’une danse contemporaine ou d’une danse sociale ? ” J’invite les amateurs à relire l’ouvrage de C. Apprill car il ouvre en outre des pistes intéressantes sur la pratique et les enjeux du tango.

Pour ma part, en faisant, comme tout un chacun, la différence entre le tango de scène et le tango des milongas sociales, j’ai trouvé le spectacle intéressant, par ses propositions artistiques et par la virtuosité du Ballet du Capitole, engagé dans un travail de scène éreintant, d’autant que ses interprètes ne sont pas des tangueros. La vision du tango est à la hauteur de ce qu’enseignent Catherine et Fédérico,  tout en virtuosité et précision techniques, mais il manque sans doute, sinon à la fin du spectacle, ce zeste de sensualité harmonieuse du couple, que Sidi Larbi Cherkaoui avait si bien su saisir dans le spectacle  » Milonga »,  programmé en 2014. Et, en ce qui me concerne, je sens que prendre une femme choisie dans ses bras, pour une danse de quelques minutes, n’est pas du tout insupportable, mais que c’est, au contraire un moment exceptionnel, et d’autant plus si la connexion est vraiment partagée. Comme le dit Julia Doynel, animatrice chaleureuse et passionnée de la Milonga ‟Sueño Porteño” à Buenos Aires,  ‟ Nous sentons en cet instant que lui est unique sur cette planète et que je suis pour lui, unique sur cette planète.” ( A bailar…A bailar…Qué la vida se va! Imprex ediciones 2013 ). Mais, pour revenir à C. Apprill, il est vrai, comme il le souligne, qu’il y a aussi dans le tango milonguero une part de démonstration: ‟aucune recherche de spectaculaire ni d’amplitude, mais une exhibition contradictoire, celle de l’intimité de la relation, de ce qui est invisible mais circule entre le couple, et qui n’a pas besoin d’être exprimé par la virtuosité technique mais par l’expressivité d’un ressenti.” Si vous délaissez un moment la piste pour observer le visage des danseuses, vous voyez combien beaucoup d’entre elles vivent intensément le tango, yeux souvent fermés. Je ne cache pas que c’est ce tango là que j’aime, parce qu’il exprime une âme, autant et souvent bien plus qu’un mouvement.

par chabannonmaurice