Juan Jose MOSALINI en Master Classe au PONTET (84).

Je n’ai encore jamais eu l’occasion de parler en détail du bandonéon, voix et symbole mythique du tango, plus prestigieux et élégant que les bas résilles ou les jupes fendues mis en avant dans les publicités… Pourtant, dans mes nouvelles « Avec un tango à fleur de lèvres », écrites en 2011 ( édition épuisée…), l’une s’intitule « Le bandonéon de Celeste » et raconte en fait l’histoire de l’instrument que j’ai acquis à Buenos Aires sur un coup de coeur que je ne regrette pas. Dans mon roman «La dernière cuite» le bandonéon est aussi l’instrument vedette et il le sera encore dans celui que je rédige actuellement.  J’ai lu depuis, en consultant le blog de Solange Bazely, Toulousaine bien connue des participants au Festival TangoPostale, ( http://www.bandoneonsansfrontière.blogspot.com ), qu’elle avait aussi acheté le sien sur une impulsion tout aussi impérative. J’invite et j’incite les curieux et amoureux de cet instrument et de sa place dans la musique de tango, à consulter ce site très documenté et à guetter l’arrivée d’un livre que Solange prépare de longue date et qui devrait sortir en 2016. Je ne me substituerai donc pas à cette passionnée et ne parlerai de cet instrument que lorsque l’occasion me sera donnée de le mettre en scène dans une histoire personnelle. On peut aussi consulter  de nombreux ouvrages sur le bandonéon et je lis actuellement un ouvrage de Juan Manuel Peña “ El Tango en el Teatro Colón ” ( M.H.Oliveri – Buenos Aires – 2006 ) rédigé en espagnol, où il est question des prestations des grands musiciens du tango et notamment des maestros du bandoneón qui jouèrent dans cette magnifique salle. Les amateurs pourront trouver de quoi se documenter dans la bibliographie citée par Solange sur son blog ou sur les sites qu’elle indique en liens. 

Pour revenir à mon bandonéon, si j’en parle aujourd’hui, c’est parce que ce 21 novembre, j’ai eu le plaisir d’entendre Juan Jose Mosalini en jouer et en tirer des sons que je suis bien loin d’obtenir malgré ma bonne volonté pour suivre des cours avec Fernando Maguna et maintenant avec Yvonne Hahn dans le cadre du Conservatoire du Grand Avignon. Yvonne a en effet lancé une classe de bandonéon qui fonctionne pour la deuxième année et qui a déclanché un véritable engouement pour cet instrument puisqu’elle compte 15 inscrits ! Yvonne organise périodiquement des master classes avec des talents reconnus et après avoir travaillé avec Hector Varela en septembre, elle a invité Juan Jose Mosalini à diriger un travail en petits groupes ( bandonéons, piano et contrebasse) puis avec un orchestre complet, composé d’instrumentistes divers du Conservatoire. Il y avait même un chanteur venu de Montpellier.

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Il est extrêmement intéressant d’assister à toute répétition d’orchestre, quel que soit le répertoire musical, pour voir comment un chef imprime sa marque à une interprétation et met l’accent tantôt sur la mélodie, tantôt sur le tempo, tantôt sur les effets sonores, en la circonstance sur ceux propres au tango ( pizzicatis ou chicharras pour les violons, frappe des caisses pour la contrebasse ou les bandos…) Il est aussi touchant de voir comment des musiciens, aussi doués soient-ils, sont attentifs aux conseils d’un grand spécialiste du tango et j’ai plusieurs fois pensé au film documentaire  » Si sos brujos » ( projeté en France sous le titre “Une histoire de tango”). Deux moments privilégiés à mettre en relation avec la danse, quand on la pratique: Mosalini, travaillant sur le rythme avec un instrumentiste, marche sur celui du tango en marquant le tempo avec les doigts, et lui demande de penser aux danseurs qui vont se caler sur la musique. Avec d’autres, il insiste sur la nécessité pour tout musicien, de toujours chanter d’abord la partition, non seulement pour s’en imprégner mais pour penser aux inflexions de la voix qui peuvent aussi être celles de l’instrument pour éviter une interprétation qui serait plate… Enfin, et c’est la moindre des choses dans un orchestre, mais aussi dans un bal, il souligne la nécessité absolue d’écouter l’autre:« On ne joue pas chacun pour soi, le nez sur sa seule partition !» On comprend alors pourquoi la plupart des danseuses et danseurs, à Buenos Aires, chantent en sourdine en dansant. Mais, ce qui était frappant, notamment en suivant le travail avec l’orchestre, c’était la façon dont Mosalini a influencé des musiciens qui pour la plupart se destinent à la musique classique, pour les amener à sentir les particularités du tango. C’était aussi le fruit d’une grande patience et d’une gentillesse tranquille, celle qu’on voit chez les grands du bandonéon. Merci à Juan Jose pour cette leçon de musique et de vie.    

par chabannonmaurice

MIRADA ET CABECEO : CODE CHEVALERESQUE OU USAGE D’UNE AUTRE CULTURE ?

Toutes les femmes ( et parfois les hommes qui se voient invités inopinément par une femme…) conviendront que les usages d’invitation à la tanda qui va commencer sont souvent assez désinvoltes et parfois inélégants dans nos milongas. Entre le cavalier qui se plante devant la partenaire élue et la tire par la main, celui qui lui fait signe du doigt, d’un clin d’oeil canaille ou d’un hochement de tête directif, et un autre qui se contente d’une remarque banale, il faut convenir que la galanterie et la distinction ne sont pas toujours au rendez vous. Mais il reste de bon ton de trouver désuet l’usage argentin de la mirada ou du cabeceo, sauf dans les encuentros où il est de règle et c’est un point positif pour ces rencontres.

Dans la conférence où je vante les milongas argentines parce qu’elles sont un vrai rendez vous social ( voir un précédent article ), je consacre un paragraphe à cet usage argentin que le danseur débutant ne comprend pas toujours. Et pourtant de la même façon que les codes du bal permettent de faire tourner convivialement la milonga, la mirada et le cabeceo, échanges de consentements,  suscitent une invitation contrôlée. Les femmes, par un regard soutenu – la mirada – cherchent à accrocher le regard du danseur avec lequel elles souhaiteraient danser et les danseurs regardent avec insistance la partenaire convoitée. Si les regards s’accordent, un léger hochement de la tête de haut en  bas – le cabeceo – vaut approbation partagée. La femme, en plaçant la main sur sa poitrine, peut vérifier qu’elle est bien l’élue et le partenaire acquiesce par un nouveau cabeceo. L’homme se rend alors auprès de la danseuse, qui ne bouge pas tant qu’il n’est pas devant elle, de peur d’une confusion toujours possible à distance, surtout pour des danseurs qui rechignent à porter les lunettes ! Ces échanges se doivent d’être discrets et évitent l’humiliation d’un refus public pour l’un comme pour l’autre. Ensuite, ils permettent aussi un choix assumé mais respectueux de l’autre : je ne te regarde pas, donc je ne souhaite pas danser avec toi, sans te mépriser pour autant… Mais pour cette tanda de Pugliese ou Di Sarli, je préfère Jorge ou Luisa… Cela place la femme et l’homme sur un pied d’égalité, car ce n’est plus l’homme exclusivement qui choisit. Cela veut dire que la connaissance des talents chorégraphiques des uns et des autres est acquise par l’observation ou par l’habitude. Ce qui suppose enfin le respect d’un autre code, souvent transgressé en France : les cortinas ne se dansent pas et signalent qu’il faut dégager la piste pour permettre l’échange des regards, parfois avant que ne commence la tanda, car en Argentine, la musicalisation des Djs ramène souvent les morceaux préférés des habitués qui pressentent ce qui va venir. Ensuite, sur la piste encombrée, la mirada est difficile et  peut amener les hommes à se déplacer pour se poster à un endroit où les danseuse en attente les verront pour un échange de proximité. Notons aussi, qu’à la fin de la tanda, il est galant de reconduire la partenaire à sa place, sans l’abandonner, plantée au milieu de la piste.

Ces codes supposent une organisation de la salle en conséquence : les hommes, alignés sur un ou deux rangs font face aux femmes, rangées de la même manière. Les couples, qui veulent danser exclusivement entre eux, sont regroupés dans une partie réservée de la salle. Des milongas importantes fonctionnent ainsi de manière stricte (El Beso, Cachirulo, Lo de Celia, La Ideal ) ou plus souple, avec des tables disposées en épi, où alternent hommes et femmes ( Sueno Porteno, La Milonguita). Si la salle a été obscurcie pendant la tanda, il faut remettre suffisamment d’éclairage pour permettre la mirada. Les photos ci dessous illustrent cette organisation spatiale qui a parfois ses déviances, les places les plus visibles étant évidemment recherchées. On raconte même que certains hommes auraient un ordre d’invitation qui va de la danseuse expérimentée à la moins habile et que déroger à cet ordre serait source d’incidents diplomatiques ou sentimentaux. Mais cela n’est-il pas préférable aux règlements de compte au couteau évoqués dans l’épopée historique du tango?

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Quoi qu’il en soit, il faut convenir que ce code d’invitation participe au côté social des milongas, conjointement avec la qualité de l’accueil, les règles établissant l’alternance des tandas de tango, valses et milongas et celles qui facilitent le mouvement collectif du bal… Il faut compter enfin sur le bon vouloir des danseurs, qui sont là pour le plaisir.  Alors, on s’y met un peu plus en France?

par chabannonmaurice