Mes tangos préférés ( suite ) : “ SUR ”

     J’ai délaissé mon site pendant le mois d’août pour la trêve estivale et familiale et pour quelques événements en plein air qui ont fait la joie des danseurs, notamment au Pont du Gard, dans le cadre du Festival de Nîmes, et à Uzès pour les soirées animées par l’association Tabou Tango. Pendant cet été, un très grand musicien, Horacio Salgan, dont j’avais célébré le 100 ème anniversaire ( mon article du 15 juin 2016 )  nous a quittés tout doucement sur les dernières gammes d’un piano. Il avait porté cet instrument à un très haut niveau et le tango lui doit autant qu’au bandonéon de  Piazzolla, dans sa régénération et son regain d’inventivité.

Je reviens à mes lecteurs assidus avec la liste de mes tangos préférés, en tête de laquelle j’avais placé “ En esta tarde gris ” et “ La capilla blanca ”: voir mes articles des 5 février et 10 mai derniers. Aujourd’hui, je veux parler de “ Sur ” dont la letra est de Homero Manzi et la musique de Anibal Troilo. La signature de ces deux grands du tango serait suffisante pour expliquer la notoriété de ce morceau qui fut un succès immédiat à sa sortie, en 1948, d’autant que les plus grands chanteurs s’en sont emparé : Nelly Omar, Edmundo Rivero et Roberto Goyeneche, entre autres. D’autres musiciens l’ont inscrit à leur répertoire et notamment Pugliese. Il faut dire qu’il y a une fusion exceptionnelle entre la musique et le texte qui donne aux volutes de ce tango un charme particulier qu’il faut essayer d’analyser pour comprendre son emprise sur les Portègnes.

                                                  sur

Pour ma part, j’ai d’abord été saisi par la poésie du texte qui ne raconte une histoire d’amour révolue, qu’entre les lignes. La place essentielle est donnée au décor, que le poète peint à travers une énumération ou plus exactement une juxtaposition d’impressions et de souvenirs où, comme dit Baudelaire dans le poème “ Correspondances ”, les parfums, les couleurs et les sons se répondent… “ Le coin de rue du forgeron, boue et pampa, / Ta maison, ton trottoir, le fossé, / Et un parfum d’herbe et de luzerne / qui m’emplit le coeur à nouveau. ” La traduction prive cette méthode poétique des sonorités propres à la langue espagnole et des allitérations qui donnent au texte une grande musicalité,  simplement dans la lecture. “ San Juan Y Boedo antiguo y todo el cielo, / Pompeya y, más allá, la inundación…”. Ces deux vers, qui ouvrent le poème, suffisent à créer une atmosphère, celle des quartiers Sud de l’époque, quand Manzi enfant, débarquant d’un petit village proche de Santiago del Estero, découvrait la banlieue méridionale de Buenos Aires,  où le sud, et ce qu’il figurait de restes de pampa, était peu à peu effacé par l’urbanisation. La nostalgie des lieux transformés ou perdus, se mêle à celle des amours fanées : “ Ta coiffure de mariée dans mon souvenir : et ton nom flottant dans l’adieu…”. Quand on sait que Manzi, écrivait ce tango alors qu’il se savait atteint d’un cancer qui l’emportera en 1951,  on mesure encore mieux la tristesse tranquille de cette superbe composition : “ todo ha muerto…ya lo sé: tout est mort… je le sais ”. Cette technique d’écriture impressionniste, le poète l’utilise dans d’autres morceaux que les danseurs apprécient, en particulier dans “ Barrio de tango ”, écrit en 1942 sur le même thème, et avec le même compositeur : “ Faubourg de tango, lune et mystère, / rues lointaines ! comment êtes vous ? «  Il faut aussi noter que Homero, “ Barba ” pour les familiers, écrit sans utiliser le lunfardo, ce qui a sans nul doute contribué à sa réputation littéraire.  

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Cela n’a pas entaché son prestige aux yeux des Portègnes qui accordent au mythe du Sud, la plus haute importance et ce tango en est devenu l’emblème. A tel point qu’une plaque rend hommage au poète à la esquina de San Juan et Boedo, sans parler d’autres qui signalent les lieux qu’il a fréquentés. Il nous a fallu divers voyages à Buenos Aires pour comprendre cette importance du Sud, et nous imprégner alors de ce qui fait l’aura de ce tango, LA référence historique, géographique et poétique qui a inspiré des films, des oeuvres diverses, des patronymes de lieux et bien sûr, d’autres tangos, dont un des plus célèbres est celui de Astor Piazzolla, “Vuelvo al Sur ”, sur une letra de Fernando Solanas auquel on doit le film “ Sur ” où s’illustrèrent Goyeneche et … Philippe Léotard, acteur français trop tôt disparu.  Le tango de Piazzolla étire, sur les complaintes du bandonéon, le mot Sur, comme un leitmotiv : “ Vuelvo al Sur, / llevo el Sur, / te quiero Sur, te quiero Sur…”  Sur ce mythe du Sud, je recommande de lire l’article  détaillé qui figure dans “ Le Dictionnaire passionné du tango ” déjà cité ( page 641 ) et, sur les références topographiques du tango, celui du livre de D.A. Clavilier, “ Barrio de Tango ” auquel je renvoie souvent aussi mes lecteurs ( page 240 ). 

L’oeuvre de Manzi est importante et on lui doit, outre des titres célèbres, comme “ Malena ” ou  “ Desde el alma ”, un renouvellement de la milonga dont la plus célèbre reste “ La Milonga sentimental ”. Il faudrait aussi parler de son travail journalistique, cinématographique et de son engagement politique. Enfin son amitié indéfectible avec Troilo explique la symbiose du texte et de la musique, magnifique dans sa complainte étirée ou le bandonéon apporte la couleur nostalgique, parfaitement assortie au texte. Quand mourut Manzi, Troilo s’enferma dans son chagrin et il composa en ode funèbre, un douloureux tango “ Responso ”.                                                                                                                                                                                                        

par chabannonmaurice

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