PREPARER LE 9ème VOYAGE A BUENOS AIRES : 3 ) Une histoire de transbordeurs…

Les hasards du tourisme en France font parfois bien les choses et peuvent vous ramener à Buenos Aires, et plus précisément au port de La Boca : transbordeurs de tous les pays, unissez vous pour nous ramener au tango … Un transbordeur est une structure métallique d’importance, porteuse d’une nacelle suspendue qui peut transporter des piétons, véhicules, chargements et animaux, comme le montre la photo en tête de page. La construction, par sa hauteur permet évidemment de laisser passer un voilier ou un navire… On semble loin de l’esthétique élégante du tango argentin, mais rien n’interdit de le danser sur la nacelle !

A Rochefort sur Mer, ou plus exactement sur les communes voisines, on rénove actuellement le pont transbordeur qui permettait de traverser l’estuaire de La Charente avant qu’un pont moderne facilite les choses. Cet ouvrage, considéré comme un chef d’oeuvre de l’architecture métallique, date de 1900 et a été classé monument historique en 1976. Il est actuellement en cours de rénovation et sa nacelle suspendue devrait fonctionner à nouveau en 2019, après deux années de travaux. Une Maison du Transbordeur, centre d’interprétation, et un sentier de découverte baptisé Sentier des Guetteurs, animé d’oeuvres d’art faisant référence à l’histoire du pont, agrémentent l’environnement.

Et c’est dans le mini-musée de la Maison du Transbordeur que nous avons découvert que ce pont avait ou avait eu des petits frères et cousins, en France et dans le monde entier. Par exemple à Marseille où un transbordeur permettait de traverser le Vieux Port et a été démoli ; mais il paraît qu’on songe à la reconstruire ! Mais on en avait installé aussi, à Bordeaux, Nantes, Rouen, Brest, villes dans lesquelles les ponts n’ont pas été achevés ou ont été démontés.

             

Des cartes postales conservent le souvenir des transbordeurs de Marseille, avec kiosque-restaurant,  et de Rouen, avec plateformes ouvragées.

Mais ailleurs dans le monde, d’autres ponts fonctionnent encore et c’est le cas à Buenos Aires, où le Puente Nicolás Avellaneda, construit en 1914, vient d’être remis en service après des années d’immobilisation. A la Maison du Transbordeur, nous avons réalisé l’importance de cet engin qui figure en toile de fond de plusieurs photos que nous avons prises  du port de La Boca, sans nous préoccuper de la fonction de cet élément, pourtant insolite dans le décor , dans lequel on remarque surtout les fameuses maisons colorées ! Cette construction permettait pourtant de traverser le Riachuelo, qui vient se jeter dans le Rio de la Plata, rivière dont il est par ailleurs question dans plusieurs tangos. Mais je n’ai pas trouvé de composition qui parle du transbordeur, alors qu’il en existe plusieurs qui parlent du Puente Alsina, reconstruit plusieurs fois après des crues. C’est un élément du décor de Pompeya, quartier Sud de Buenos Aires, chanté par ailleurs par Manzi dans « Sur« . Ce pont  a été le témoin de divers événements sociaux graves. Un tango de B. Tagle Lara, « Puente Alsina« , musique et poème composés en 1926,  lui est consacré.

                                     

Le blog Barrio de Tango tenu par D.A Clavilier (www.bario-de-tango.blogspot.com ) n’a pas manqué de relater avec amusement l’inauguration récente du pont rénové, voici tout juste un mois : cet événement d’importance qui redonne du lustre à un élément significatif de la vie portègne, a été marqué par une rivalité cocasse entre les forces politiques locales, donnant lieu à un incident dont la politique argentine a, seule, le secret. La nacelle, inaugurée par une foule acquise au parti au pouvoir sur la rive portègne du Riachuelo, a été arrêtée à mi parcours et a fait marche arrière pour être soustraite, sur l’autre rive d’Avellaneda, à l’accueil d’une foule cette fois marquée par la gauche kirchneriste ! Les articles ci-dessous de Clarinx relatent cet incident ridicule… Peut-être eût-il été sage de faciliter la convivialité en organisant une milonga dans la nacelle ! Mais cet anecdote explique aussi pourquoi le Pape n’a pas encore rendu visite à l’Argentine, lui qui souhaite une plus grande tolérance à défaut de fraternisation entre les blocs politiques !

          

Rappelons aussi au passage que ce barrio de la Boca a toujours eu des vélléités d’émancipation et qu’il le proclame sur ses murs, silhouette du transbordeur à l’appui. Et soulignons que le tango « Caminito« , ( musique de J.D Filiberto, Letra G.C.Peñaloza ) n’a rien à voir avec le quartier pour touristes bien connu, puisqu’il parle en fait d’un lieu de la province de La Rioja !

                              

Enfin, pour revenir à Rochefort et à La Charente, c’est de cette région et de son port que partirent un bon nombre de conquérants et de migrants vers les deux Amériques : vers le Canada et vers les Etats Unis et sans nul doute vers l’ Argentine. Champlain était de Brouage, La Fayette partit vers les USA avec l’Hermione, construite à Rochefort, frégate dont une réplique a été récemment reconstituée pour célébrer en 2016 l’anniversaire de cette traversée.

par chabannonmaurice

PREPARER LE 9ème VOYAGE A BUENOS AIRES : 2 ) Du côté des Gauchos.

Lorsque nous préparions, en 2008, un premier voyage en Argentine, essentiellement touristique, et que nous avions inclus dans le périple un séjour en Patagonie, nous n’avons pas échappé à l’image du rude gaucho  et des espaces désolés de la Pampa. Nous pensions croiser fréquemment ces cavaliers expérimentés, mais nous avons dû nous contenter de croire les affirmations  d’un encart d’un guide de voyage : « L’un des symboles les plus durables de l’Argentine est l’intrépide gaucho, dont la tradition séculaire remonte à l’époque où les Espagnols laissèrent leurs troupeaux en liberté dans la pampa herbeuse. » (guide Lonely Planet). Même, au cours d’excursions encadrées, nous n’avons pas croisé de gauchos… Puis, nous avons découvert la feria de Mataderos, dans un quartier excentré de Buenos Aires où on peut se rendre en bus, en une heure. Là se retrouvent, presque tous les dimanches de l’année, les familles qui maintiennent la culture gaucha, avec ses traditions hippiques, folkloriques, artisanales et gastronomiques… On peut écouter la musique, danser la chacarera ou la zamba, acheter un facón, poignard en forme de couteau allongé, avec son étui travaillé et rehaussé de métal, comme les ceintures décorées. On peut déguster des empanadas confectionnés sur place, se rassasier d’un asado, acheter du dulce de leche fait maison et bien sûr, goûter le maté amer.  La feria est un rassemblement haut en couleurs et dépaysant, à portée de pied lors d’un séjour dans la capitale et les rencontres y sont pittoresques.

                                              

Autre possibilité que nous avons pratiquée, quelques voyages plus tard, à proximité d’autobus de la capitale ( 115 Kms ) :  se rendre à San Antonio de Areco et séjourner dans une estancia. C’est aussi une expérience aux couleurs touristiques, mais on trouve encore des accueils et hébergements authentiques et on peut partager la vie quotidienne et l‘asado des gauchos, et monter à cheval pour ceux qui ont le pied hippique. L’idéal serait de pouvoir se rendre à San Antonio pour El dia de la Tradición, Fête des gauchos qui dure en fait une semaine, autour du 11 novembre et qui reste haute en couleurs par sa procession à cheval et les mêmes activités qu’à Mataderos.

                                          

Mais il nous a fallu aller au coeur de la Pampa pour vivre un moment authentique de la vie des gauchos. Alors que nous circulions sur une piste, en direction du Parc de La Luna, nous avons vu arriver vers nous un nuage énorme de poussière : c’était une troupeau de centaines de têtes de bétail, encadré par une dizaine de gauchos, en tenue de travail, boleadoras au poing pour ramener dans le droit chemin  les veaux qui s’égaraient. Voiture immobilisée, nous nous sommes fait tout petits pendant que les bestiaux frôlaient la carrosserie et nous regardaient au passage. La plupart des hommes portaient les bombachas, sorte de pantalon tablier et étaient coiffés de boiras, béret , large coiffure en champignon ou de chapeaux tannés par les intempéries. Dans un autre voyage, nous avons rencontré un gaucho solitaire dans cette tenue -voir la photo d’en tête- et nous avons aussi, plus tard visité des estancias vers Taffi del Valle dédiées à l’élevage des moutons, à la fabrication du fromage… et au tourisme rural. On y déguste un maté authentique et on peut y acheter de beaux chapeaux. On peut aussi s’installer pour un séjour prolongé dans des estancias dans tout le pays et, cette année, nous avons le projet de nous rendre dans la région de Misiones et de partager la vie des gauchos du Nord Est,  éleveurs mais aussi cultivateurs de maté. 

              

Récemment, est sorti le film Invernio qui relate la vie difficile de ces hommes de La Pampa en Patagonie, et parle de la transmission entre générations. Il donne une image rude de la vie quotidienne des ouvriers, aux ordres des grands propriétaires des estancias. Cette vie actuelle est-elle si différente de celle que chante Le Gaucho Martín Fierro dans l’oeuvre fondatrice de José Hernández, écrite en 1872, à un moment où le Président Sarmiento déclara que les gauchos étaient d’abord des combattants pour éradiquer les indigènes et les rebelles des guerres civiles ?  Je n’avais jamais lu cette oeuvre et une édition m’en a été fournie par Solange Bazely ( Régis Brauchi Editeur 2008 ) avec une traduction de l’Argentin Juan Carlos Rossi, musicien, chanteur, compositeur et interprète, originaire de Patagonie, autant de gages de fidélité au texte originel. Il a en effet tenté de garder la métrique du texte et, autant que possible la rime… C’est une composition épique et dramatique, et venant après la vision du film cité plus haut, sa lecture montre que la vie des gauchos n’a pas beaucoup évolué jusqu’à celle des personnages de la pellicule récente : dressage des étalons, vie fruste, nourriture irrégulière, fréquentation des tavernes, rixes, manque de femmes, enrôlement forcé, présence des indiens auxquels il est rendu hommage pour leur courage…  » Je parcourus la campagne / Comme L’Indien le plus fier… » Sous la pression des événements et le commandement pesant des chefs, Martin en vient à déserter par fierté et nécessité de survie :   « Je suis un gaucho battant / Qui ne s’affole pour rien, / Même si gagnant mon pain, / Maintes tâches je dois faire; / mais les gens du Ministère / ne nous tendent pas la main. »  Martin finit pauvre et harassé, mais libre, ayant rejoint le territoire de ses demi-frères les indiens. Il me reste à lire une autre oeuvre  » Don Segundo Sombra » de Ricardo Güiraldes pour compléter cette approche littéraire.

 

    

Il faut aussi faire référence au Gauchito Gil, autre figure de légende, mythique et mystique. Déserteur lui aussi, voleur du bétail appartenant aux riches pour le redistribuer aux pauvres, il fut capturé, pendu par les pieds et décapité avec refus de sépulture, sort réservé aux déserteurs. Mais le bourreau, auquel il révéla que son fils était malade et allait mourir, l’enterra contre promesse de guérison. Le miracle s’étant réalisé, la croyance populaire consolida et enjoliva l’histoire. Un pèlerinage très suivi vénère la tombe de Gil, près de Mercedes, dans la province de Corrientes, au Nord-Est de l’Argentine. Mais surtout, de nombreux autels jalonne les routes de tout le pays, aisément repérables à leurs drapeaux rouges et aux ex-voto hétéroclites déposés par les croyants : ils protègent les voyageurs des accidents, intempéries et autres difficultés de la route… à condition de klaxonner si on passe devant en voiture.

    Et quelle influence a eu la culture gaucho sur le tango ? Je renvoie mes lecteurs à deux excellents articles qui soulignent les liens et parentés. Celui du Dictionnaire passionné du Tango (Seuil 2015) à la page 308, et celui écrit par André Vagnon, dans la petite lettre N° 7  de Mémoire du Tango ( 9/10/2017). Ce dernier document montre le rapport parfois fantaisiste entre les deux symboles de l’identité argentine. L’auteur y parle de Gardel et des tenues qu’il revêtait, et, dans le musée qui est consacré au chanteur, on peut voir une assiette commémorative en céramique où il est représenté en gaucho et à cheval.

                                        

En dehors de tous ces aspects anecdotiques, il faut voir les gauchos danser la chacarera et exécuter les zapateos, ces frappements de bottes avec torsion de la cheville -mouvements que nos danseurs d’intermèdes ont bien de la peine à imiter sans être ridicules- ou se déplacer de façon féline dans la Zamba, ou danser le candombe dans le nord du pays, pour voir et entendre ce que les danses de ces hommes et femmes de la Pampa ont pu apporter au tango. Sans parler du sens du rythme avec la frappe des tambores ou le claquement des boleadoras, quand ils frappent le sol et sont utilisés dans des sortes de joutes gymniques et musicales. Et que dire de la milonga, danse joueuse qui doit sans doute autant aux frappements de pieds des gauchos qu’à ceux des pas rudimentaires des danseurs des conventillos ?  

                                         

Je rappelle aussi les articles suivants, déjà publiés dans ce blog, sur le même sujet ou sur un thème proche et complémentaire :

  • Peñas folclóricas : l’âme de l’Argentine. ( 29/11/2014 )
  • Traditions gauchos dans le Nord Ouest de l’Argentine. ( 07/02/2015 )
  • La Pachamama. ( 13/05/2015 )
  • La zamba, une danse d’amour. (29/04/2015 )
  • A propos du film de Carlos Saura « Argentina ». ( 22/01/2016 )

  

par chabannonmaurice

PREPARER LE 9ème VOYAGE à BUENOS AIRES : 1) Le monument auTango

A Tarbes, pour le vingtième anniversaire, les danseurs ont pu participer à une milonga autour du rond-point du tango, quai de l’Adour. Mais connaissaient-ils tous l’histoire de ce monument? Il est dommage que la remarquable conférence donnée par Rubén Reale, journaliste et producteur spécialiste du tango et initiateur de la radio « Tango pour tous », conférence annoncée trop tardivement, n’ait pu réunir suffisamment d’auditeurs. Car elle apportait un éclairage historique et culturel sur l’érection de ce monument, non seulement à Buenos Aires mais dans le Monde entier où il est progressivement installé dans des lieux reconnus pour leur prosélytisme en faveur de la danse argentine. Et elle bénéficiait en outre de la présence de l’industriel qui a fabriqué le monument, et qui, de surcroît se trouve être chanteur, ce qui n’est pas étonnant pour un Argentin.

Le premier monument a été inauguré voilà déjà 10 ans, en 2007, à Buenos Aires. Il a été déclaré immédiatement d’intérêt touristique par le Secrétariat au tourisme de la Nation, devenu depuis Ministère, et par l’organisme de promotion touristique de la Capitale. C’était de bon augure, deux ans avant que le tango soit déclaré en 2009  » Patrimoine mondial culturel de l’Humanité  » par l’UNESCO. Mais c’était surtout l’aboutissement d’un long travail sous l’impulsion de Rubén Reale qui avait eu l’idée de ce monument et a ensuite piloté le projet en plusieurs étapes : constituer une association Comité Pro-monument au Tango ; organiser une levée de fonds, notamment avec un cycle de concerts donnés bénévolement par des maestros du chant, de la musique, de la danse et de la technique, mais aussi avec un mécénat d’entreprises et d’institutions diverses ; enfin lancer un appel à projets auprès d’artistes pour un concours d’art urbain. 71 dossiers ont été présentés. Un jury de 9 membres, notables et artistes a enfin retenu la sculptrice Estala Trebino pour sa proposition : une oeuvre abstraite représentant l’Esprit du Tango.

Sa forme est inspirée par le bandonéon, âme du tango. C’est le soufflet de l’instrument, le fuye pour les musiciens, partie emblématique qui donne le son et qui symbolise le rythme, l’harmonie, le mouvement, en s’enroulant sur lui même vers le ciel. Cette élévation ascendante est aussi, quelque part, celle des danseurs emportés dans les tours. Un ingénieur, Alejandro Coria, avait déjà travaillé avec l’artiste pour concevoir matériellement la mise en volume, en utilisant 2 tonnes d’acier inoxydable sur un piédestal auxquelles s’ajoutent deux tonnes de fer d’ancrage. Le monument de Buenos Aires, situé au coeur du barrio rénové de Puerto Madero, au carrefour du boulevard Azucena Villaflor et de l’Avenida de los Italianos, se détache sur une petite place verdoyante et il atteint 5 mètres de hauteur et un volume de 9m3. Il a été inauguré le 22 novembre 2007, jour de la Fête de la musique en Argentine et on fêtera cette année son 10ème anniversaire. Dans le même quartier se trouve le Pont de la Femme et la  frégate Sarmiento rénovée, qui aurait avec la partition du tango « La Morocha » – musique de Saborido et letra de Villoldo – disséminé le tango au long de ses périples en Europe et au Japon. C’est dans cette partie du port que débarquaient les immigrants et le choix de cet endroit est symbolique.

                

Le monument de Buenos Aires, devant lequel je pose par amour de l’instrument phare du tango. La photo d’en-tête montre un des bassins de Puerto Madero avec le Puente et la Frégate.

En 2012, l’Institut National de Promotion Touristique d’Argentine et Le Ministère du Tourisme ont offert le même monument à la Ville de Tarbes, à l’occasion du Festival, en reconnaissance de la participation continue à la promotion du tango et de la culture argentine. Ce monument a été inauguré en grande pompe par le Ministre du Tourisme C.E. Meyer, le Maire de Tarbes G.Témégé, Rubén Réale, l’initiateur, et Manée Bruyère, alors présidente de l’AssociationTangueando Ibos, entre autres. Pour la petite histoire, ce monument, d’abord situé dans le parc Paul Chastellain a été déplacé en 2016  à un rond-point, ce qui n’a pas fait l’unanimité…


                                   

Le même monument à Tarbes dans son site initial et un tableau d’Alain Laborde Laborde « Hommage au monument au tango ». Cet artiste, qui a longtemps illustré les affiches du festival avec ses danseurs, eux aussi en élévation tourbillonnante, avait une exposition intéressante ( tableaux et sculptures ), cette année à l’Office du tourisme.

Depuis, d’autres monuments ont été installés dans des pays et des villes ayant contribué à l’essor et la réputation du tango argentin, notamment à San Paulo, au Brésil, et à Medellin, en Colombie, où Gardel a été mortellement accidenté.

par chabannonmaurice