Choisir de loger dans une estancia, c’est vouloir découvrir une toute autre ambiance que celle d’un hôtel, si accueillant soit-il. C’est surtout rechercher l’entrée dans une tranche de l’histoire argentine, bien loin du monde du tango, mais pour autant partie intégrante et mythique des parcours des immigrants. Les Provinces de Misiones et de Corrientes que nous avons visitées cette année, nous ont ainsi apporté une autre image de la diversité du pays. La pampa, dans ces régions tropicales, prend une toute autre couleur que celles que nous avons découvertes en Patagonie, dans la province de Córdoba ou aux abords de la capitale.
Quand on quitte la route pour s’enfoncer dans un chemin qui conduit à l’Estancia Santa Inés, on a déjà l’impression d’entrer dans un autre monde, un peu sauvage par la forêt dense qu’on traverse, un peu mystérieux par les grands bâtiments en partie abandonnés et assez délabrés qu’on longe un moment. Le chemin sinue dans la forêt avant de déboucher dans une clairière où niche l’habitation principale flanquée de quelques annexes. On est alors dans un lieu de silence, malgré les multiples chants d’oiseaux dissimulés dans des arbres centenaires : impression d’entrer dans un film qui se déroulerait voilà plus de cent ans. Ce sentiment est confirmé quand, sous la conduite de Nanni Nuñez, notre hôtesse – accueil souriant et discret – nous découvrons notre chambre et entreprenons la visite de la maison.
Tout y est pratiquement dans sa conception première, lorsque le grand-père s’est établi là pour défricher la forêt et installer des plantations de mate : meubles d’époque cossus, affichant la réussite des propriétaires, plancher le plus souvent en bois, lambris sur les murs… Et partout, de nombreux souvenirs de famille, photos en particulier, objets et témoignages… Nous avons immédiatement l’impression que la maison a une âme et que quelques esprits bienfaisants veillent sur nous, idée que la douceur de l’hôtesse renforce quand elle nous offre un mate froid, le tereré, et nous donne les premières bribes de l’histoire des lieux.
Nous en découvrirons d’autres fragments lors des ballades qu’elle nous proposera, au cours des repas, ou en fouillant dans la riche bibliothèque de la maison. Les ouvrages sur les Missions Jésuites, les premiers pionniers dans la région, la navigation sur le Parana , ou les estancias historiques de l’Argentine… nous en apprendront plus. Comment imaginer ce qu’a pu être la vie des immigrants, arrivant dans ces contrées vierges et souvent hostiles ? Comment transplanter des coutumes et savoirs européens en les adaptant aux nécessités locales ? Et nous avons été subjugués par l’histoire de cette famille, par l’émotion avec laquelle Nanni parlait de ses grands-parents et parents, et par l’acharnement pour maintenir et protéger un héritage que les difficultés économiques menacent. La culture du mate, une des ressources de la propriété s’est mécanisée et est maintenant régentée par les collecteurs des marques commerciales. Établir et valoriser des chambres d’hôtes est, en complément, un moyen d’autant plus intéressant qu’il favorise les rencontres et casse l’isolement des lieux.
Le rituel des repas nous a d’abord étonnés puis réjouis, car la table était dressée dans la salle à manger d’apparat et partagée avec Nanni, toute blonde et sa nièce Andréa, toute brune, chacune confectionnant à son tour un plat raffiné. Les couverts et la vaisselle de famille sortaient des tiroirs pour l’occasion, nous donnant l’impression d’être des hôtes de marque. Un somptueux buffet de desserts maison terminait les agapes en douceurs. Dans cette ambiance nous avons pu avoir de beaux échanges, non seulement sur l’histoire et la vie de la maison, mais aussi sur la nôtre, notre intérêt pour la culture et la diversité argentines et sur nos récentes découvertes à Buenos Aires. Privées de contacts fréquents avec la capitale, nos interlocutrices nous ont semblées avides de connaître notre ressenti. Avec une certaine curiosité amusée pour notre engouement pour le tango ! Un grand plaisir a consisté à leur faire écouter nos tangos préférés et nous leur avons donné sur une clef des extraits de la tangothèque d’Hélène. Beaux moments qui nous laissent un souvenir inoubliable, en remettant la vie de la capitale… et le tango à leur juste place. Merci à Nanni et Andrea.
Dans la Province de Corrientes, nous avons entrevu d’autres estancias, au milieu d’immenses espaces dédiés à l’élevage des bovins et des chevaux, et nous avons croisé des gauchos. Mais la découverte des Esteros del Iberá exigeait un logement en lodge, à proximité de la lagune. Dommage car nous aurions aimé connaître un autre hébergement dédié cette fois à la production de la viande.