Bien que des articles précédents aient déjà parlé de ce salon de coiffure atypique, je veux revenir sur “La Epoca” dans lequel nous nous rendons à chaque séjour, parce qu’il est un des hauts-lieux du tango populaire à Buenos Aires, à la fois pittoresque, émouvant et enchanteur. D’abord par le cadre : cette peluqueria est ouverte au clients mais c’est un extraordinaire musée où son patron, a rassemblé un bric à brac d’objets, matériels, cosmétiques en tous genres, publicités relatifs à la coiffure. Le matériel ancien, sièges et séchoirs, déborde jusque sur le trottoir. De quoi attirer l’attention du chaland. Le maître des lieux et ses employés arborent une tenue stylée impeccable, très début du siècle dernier et affichent une convivialité teintée d’un bel humour. On n’y rase pas gratis, mais le salon passe pour un des plus raffinés, non seulement pour la coupe mais aussi pour la barbe et les moustaches … Cette année, on y formait un apprenti qui était dans le ton, gominé à souhait. La coiffure traditionnelle s’y perpétue donc avec bonheur et tout le personnel est d’une grande amabilité, au risque d’en rajouter un peu.
Mais surtout, ce salon minuscule partage l’espace avec un café attenant, de la largeur d’un couloir, avec un alignement de quelques tables et chaises où l’on peut consommer et cet endroit est garni, chaque fois que s’organise une peña, à l’initiative des gens du quartier. C’est alors un extraordinaire rassemblement de chanteurs amateurs, dans une émulation amicale, car le café a ses habitués. La plupart se sont mis sur leur trente et un, parfois d’une manière baroque et attendrissante : on pourrait se croire dans un film, d’autant que la conviction des chanteurs s’appuie sur les gestes mélodramatiques du tango. Commence un récital où les voix mal assurées rivalisent avec d’autres, plus aguerries, et empruntent au répertoire, non seulement du tango mais aussi du folklore, parfois au registre espagnol car on y a vu, un jour, un concert de castagnettes et tambourin. Un bandonéoniste est là pour l’accompagnement et s’accommode de tous les répertoires. Chacun écoute avec respect les interprètes qui se succèdent et la plupart fredonnent en sourdine les paroles qu’ils connaissent, bien sûr. Quant aux touristes, rares, car il faut connaître le lieu, ils sont vite adoptés car les gens ont compris qu’ils sont dans l’esprit de la peña. Ce jour là un autre couple de Français était là et Serge s’est même risqué à chanter. Ils sont même intégrés à la tombola qui offre des petits souvenirs choisis ou fabriqués par les participants. Tout cela sous l’oeil bonhomme du patron, entre deux coups de ciseaux. C’est un lieu où il faut aller avec l’idée de découvrir un tango authentique, celui que l’on chante dans les familles et dans les barrios.
C’est aussi le cas au Bar « Los Laureles », Iriarte 2290, Barracas Sur, que j’ai déjà décrit à l’occasion d’une soirée peña ( voir mon article du 12/01/2016 ). Cette année, nous y avons rejoint des amis pour un dîner suivi d’une milonga. Un concert de bandonéon précédait le bal du jour, avec un musicien expressif, au répertoire varié : c’est toujours plaisant de découvrir ces artistes anonymes qui n’ont pas la faveur de la lumière des grandes salles.
Le bar organise plusieurs milongas dans la semaine et celle du soir était La Milonguita Empastada, musicalité avec des disques vinyles. C’est une milonga sans prétention, avec les gens du quartier qui arrivent souvent à pied et quelques autres habitués qui recherchent cette ambiance familiale. On boit, on mange la cuisine locale et on s’interrompt pour aller danser une tanda… C’est ce genre de lieu que nous apprécions pour son authenticité.