MES TANGOS PREFERES :  » Cascabelito »

      La chronique de mes tangos préférés ne prétend pas être une liste modèle, chaque danseur ayant ses références musicales, poétiques et chorégraphiques. Elle ne se veut pas non plus une recherche historique et musicographique, car d’autres connaisseurs du tango le font très bien et de manière exhaustive. Comme dans mes écrits, je cherche plutôt à traduire mon ressenti, et souvent par référence à un vécu argentin, ou à une expérience récente, ou à une étude plus littéraire de la letra.
C’est le cas pour « Cascabelito », tango de 1924, dont la musique est de José Bohr et le texte de Juan Andrés Caruso. J’ai choisi quelques vers de cette composition pour les placer en exergue, dans le recueil de Récits et Nouvelles dont je prépare la publication prochaine. D’abord parce que, contrairement à bien des letras, souvent péjoratives ou déprimées, ce texte présente une image mystérieuse et lumineuse de la femme  » si ravissante et si coquette », au « rire juvénile », à la « bouche comme un oeillet », au « rire de cristal ». C’est ce rire qui suggère le titre. « Cascabel », c’est le grelot, et avec le diminutif, je trouve encore plus de charme à cette appellation. Il ne serait d’ailleurs pas nécessaire de le traduire car, dans les versions chantées, en refrain, les interprètes lui donnent toute sa saveur dans les inflexions de la voix. On trouve parfois la traduction « Crotale » par référence à l’appellation que l’auteur de la letra aurait lui-même employée, du nom de l’instrument antique à percussion, sorte de castagnettes et crécelles, employé dans le culte de Cybèle pour accompagner les danses sacrées. Mais le mot évoque aussi le serpent venimeux, dit serpent à sonnette, ce qui n’est pas du tout la tonalité du tango ! En argentin, le mot, intraduisible, évoquerait une jeune fille espiègle au rire moqueur. N’est-il pas préférable de garder le mystère de la simple sonorité évocatrice du mot ? Bref,  pour moi, ce tango évoque tous les charmes d’une jeune femme insouciante, voire provocante, au hasard d’une rencontre, dans le tourbillon d’un carnaval.
   Car c’est ensuite le cadre du Carnaval qui ajoute sa note de gaieté et d’insouciance. On ignore souvent l’importance de ces festivités dans les pays sud-américains en se focalisant sur les manifestations  du seul Brésil. Mais en Argentine, ce moment attendu, donne aussi lieu à des répétitions une bonne partie de l’année, puis à des fêtes débridées qui durent parfois 2 mois en janvier et février ! Deux grandes manifestations rassemblent les foules : le Carnaval de Pais, dans la province d’Entre Rios dans la ville de Gualeguaychù, qui présente des défilés de groupes costumés et des chars, comme au Brésil ; celui de Humahuaca, dans la province du Nordoeste, plus marqué par les traditions quechuas, avec des masques et costumes issus des cultes animistes. D’autres moins connus n’en sont pas moins importants, à Corrientes par exemple. A Buenos Aires, où le carnaval dure une bonne semaine début février,  la tradition est rythmée par les murgas, groupes de musiciens costumés qui rivalisent au son des tambours, après s’être entraînés une partie de l’année. Bien sûr, pendant la dictature le carnaval était interdit comme susceptible d’entraîner des débordements.  

    

      Murga dans les rues de San Telmo.                 Diables dans la quebrada de Humahuaca.

Mais il y a aussi des manifestations plus intimes, mêlant coutumes locales et costumes d’origine européenne dans des bals ou petits défilés, et ce sont celles-ci qui donnent lieu aux rencontres amoureuses chantées dans plusieurs tangos : « Mascaradas » , « En el corsito del barrio » , « Siempre es Carnaval » ou « Carnaval de mi barrio « , entre autres. Dans ce dernier tango revient d’ailleurs  le mot du grelot, associé au rire :  » Carnaval de mi barrio / Donde todo es amor / Cascabeles de risas / Matizando el dolor ».  « Cascabelito » est donc dans le ton, avec une alacrité ensoleillée !

En ce qui concerne le tango lui-même, on peut s’intéresser aux auteurs et je conseille de consulter le site d’une association qui les présente en détail car leur parcours ne manque pas de pittoresque ! Jose Bohr ( 1901-1990 ), l’auteur de la musique, a en effet été chanteur et musicien au Chili puis en Argentine, mais son originalité tient au fait qu’il a inventé la scie musicale, en constatant que les scies égoïnes qu’il utilisait pour ouvrir les caisses de pianos importées dans une maison de musique à Buenos Aires, pouvaient émettre des sons mélodieux. Quant à Juan Andrés Caruso ( 1890 – 1931 ) , journaliste en vogue, puis auteur de théâtre, il écrit des tangos qualifiés de pintoresquitos, car ils décrivent des saynètes de la vie courante, comme c’est le cas dans le tango qui nous intéresse. Un autre tango célèbre de ce poète : « La Ultima Copa ».  Voir le site fondationvillaurquiza.com pour plus de détails.

« Cascabelito » date de 1924,  mais j’ai une nette préférence pour la version enregistrée en 1955,  par Pugliese et que vous pouvez écouter sur You Tube, ci dessous, avec Jorge Maciel au chant. Pourquoi ?  Parce que, à mon sens, l’arrangement fait par le maestro lui donne toute la théâtralité voulue par Caruso et que la technique orchestrale soutient cette intention. Les violons suspendent l’ouverture à une sorte de prélude, attente que les partenaires devraient s’imposer avant de danser, en s’invitant à une sorte de recueillement mutuel. La voix du chanteur, qui vient alors rapidement, est soutenue par les marcatos du bandonéon et souvent modulée dans des inflexions mélodieuses qui incitent à des pauses. Ce tango inspire une danse à la fois simple et théâtrale, d’autant que la voix désuète de Maciel entraîne un peu hors du temps. C’est une très belle version mais il en existe d’autres intéressantes : celle d’Angel  d’Agostino ( Ricardo Ruiz au chant ) 1953 ; Florindo Sassone ( Oscar Macri, chanteur ) 1970 ;  Armando Lacara ( Angel Vargas au chant avec une diction parfaite et expressive ) . Enfin au titre de versions historiques, celle de Carlos Gardel, s’accompagnant à la guitare ( 1924 ) et celle de Francisco Canaro         avec Ada Falcon au chant ( 1930 ). On trouve ces versions sur You tube ou sur divers sites de tango, todotango.com, notamment.

 

Bonne écoute et belle danse ! Avec Osvaldo Pugliese c’est toujours un régal…

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par chabannonmaurice

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