A LA GLOIRE DU BANDONEON.

Lors d’une récente prestation dont je vais parler plus loin, Juan José Mosalini père, raconte une conversation avec Osvaldo Pugliese. Ne se satisfaisant pas de la définition du tango donnée par Enrique Santos Discépolo, « Le tango est une pensée triste qui se danse », pourtant reprise à l’envie par beaucoup de pratiquants, il demanda au Maestro qu’elle était la sienne. Pugliese répondit que le tango est une manière de vivre. On pourrait dire que les deux approches se complètent, mais Mosalini, adoptant cette définition, sous-entendait par là que le tango est aussi motif à recherches permanentes engendrant des évolutions, et que, s’il paraît commode de distinguer des périodes, voire des écoles, il est patent de relever ce que chacun a emprunté aux autres et à son époque. Et en ce qui concerne plus particulièrement le bandonéon, les deux concerts auxquels nous venons d’assister, dans le cadre des Journées européennes de cet instrument, témoignent des évolutions dans les compositions qui mettent en valeur la bandonéon.

Si l’on veut approfondir l’histoire et le côté technique du bandonéon, je recommande la lecture des chapitres qui lui sont consacrés dans trois ouvrages de référence : – « Le dictionnaire passionné du tango » par G.H Denigot, J.L.Mingalon, E. Honorin ( Seuil 2015 ) – « Le tango » par H. Salas ( Actes Sud 1989 ) – « Tango y bandoneon » ( Maizal ediciones 2009 ) en espagnol. Mais si on souhaite mesurer la place privilégiée donnée à l’instrument par les auteurs de tango, on notera que plusieurs des grands compositeurs de musique étaient des bandonéonistes et que beaucoup de leurs oeuvres sont un hommage au bando : « Quejas de bandoneon », « Alma del bandoneon », « Che bandoneon », « Mi loco bandoneon » entre autres. « Ton chant est l’amour qui n’est pas venu / et le ciel dont nous avons tous rêvé /…C’est une envie terrible de pleurer / qui nous vient parfois sans raison » disent Anibal Troilo et Homero Manzi dans « Che bandoneon ». Car il est vrai que cet instrument, par ses possibilités multiples, son expressivité dans des registres d’interprétation variés, la virtuosité technique qu’il suppose dans sa version bi-sonore ne laisse personne indifférent.

C’est ce que nous avons vécu lors des deux concerts dont je vais parler maintenant. C’était donc dans le cadre de la 5ème édition des Journées européennes du bandonéon, créées en 2017, à l‘initiative d’Yvonne Hahn. Le premier, à l’auditorium du Thor, réunissait autour des Mosalini père et fils et de Daniel Binelli, quelques excellents bandonéonistes européens et un orchestre de circonstance composé d’instrumentistes de renom et des meilleurs élèves de l’Ecole de bandonéon du Conservatoire du Grand Avignon, dirigée par Yvonne Hahn, en scène elle-même au côté des maestros. Claire et Dario Da Silva, dansant sur plusieurs morceaux, ont donné du lustre à la soirée par l’interprétation subtile et rigoureuse qu’on leur connaît. Le programme faisait la part belle aux trois grandes figures actuelles du bandonéon en France et soulignait, si besoin était, la complicité de Juan José et Daniel, anciens compagnons de route de Pugliese et de Piazzolla auxquels ils vouent un admiration musicale et humaine forte. Compte tenu de l’année anniversaire de la naissance d’Astor, dominaient les compositions de celui-ci, avec notamment trois tangos de choix : «Verano Porteno», « La muerte del Angel » et « Adios nonino », ce dernier avec un arrangement de Mosalini père. Le concert s’est terminé sur un «Gallo Ciego » dynamique, feu d’artifice de tout l’orchestre. Pour ceux qui ont l’âme musicienne, la soirée a permis de montrer les extraordinaires possibilités techniques du bandonéon et le parti que les interprètes compositeurs ont pu en tirer. Bel hommage notamment à Astor Piazzolla que nous redécouvrons avec plaisir dans ses audaces contemporaines et une musicalité d’une belle facture. Et puis Binelli et Mosalini rejouant ensemble « Fueyazo », c’était un régal, tant les deux artistes faisaient corps avec leur instrument.  

Le concert du dimanche était d’une organisation différente puisqu’il s’agissait plutôt d’un dialogue humain et musical entre père et fils : itinéraires personnels et politiques, mais surtout parcours musicaux et culturels. Occasion d’apprécier la modernité des deux personnalités et la continuité de la musique de tango. Au passage, Juan José a remercié la France pour l’hospitalité accordée à l’exilé politique et économique qu’il était. Mais ce qui était touchant, c’était la fragilité du père que l’âge accentue et au regard, l’attention protectrice que lui accorde son fils. Une fois de plus, j’ai mesuré ce qu’est la transmission dans la continuité dans le monde de la musique et tout particulièrement dans celui du tango où l’initiation à la danse ou à la musique se fait en famille ou dans un groupe d’amis. Mais aussi la fragilité des maestros, et de fait la nécessité absolue du passage de relais.

Dans chacun des concerts, les musiciens ont reçu des applaudissements justifiés, grâce à un talent qui éclatait de la joie de jouer, mais aussi parce que les auditeurs ont ressenti ce que Horacio Salas exprime parfaitement : « Les nuances inexplicables et mystérieuses du bandonéon font plus appel à un passé commun, à une communication secrète, qu’à une lecture intellectuelle ou à des références savantes. Plus qu’un instrument, le bandonéon est une histoire ou des centaines d’histoires. Il est le conteur nostalgique de la mélancolie de Buenos Aires, ancrée dans le déracinement des premiers immigrés, dans leur regret du pays natal et des paysages à jamais perdus de l’enfance. »

par chabannonmaurice

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