Dans le tango, comme dans bien d’autres passe-temps élevés à la hauteur de passions, il est grisant pour le débutant de rechercher la perfection, et pour cela, de s’identifier à des modèles. Dès que nous avons pu danser sans trop de maladresse, nous avons commencé, souvent avec des couples d’amis, à courir des manifestations diverses organisées dans notre proche environnement, au besoin en parcourant de plus en plus de kilomètres. Les cours de Florent et Johanne ne nous suffisaient plus et nous cherchions d’autres professeurs, si possible avec le label argentin, gage imaginaire d’authenticité : nous étions avides d’apprendre de nouvelles figures ou combinaisons alors que nous possédions encore très mal les bases-mêmes de la danse et que nous n’avions pas encore trouvé la bonne posture détendue pour notre couple. J’ai ainsi le souvenir d’un mini festival à Aubais, à proximité de Nîmes, où nous avons tenté de comprendre et d’assimiler le traspié, objet d’un stage spécifique, consacré surtout à la milonga. Cette figure d’aller et retour de la même jambe, sans changement de poids et sans modification de l’axe, est effectuée presque sur place et sur un contretemps. Cela suppose de maîtriser le moment où il faut l’introduire et donc la musicalité du tango ou de la milonga dans laquelle elle est le plus souvent utilisée ! La vidéo ci dessous donne une idée de la technique qui semble aller de soi… quand on sent bien les effets musicaux
Nous étions bien loin d’assimiler ces subtilités, sans doute parce que à cette époque d’essor du tango, les maestros étaient incités à répondre d’abord aux attentes des danseurs qui voulaient faire vite des figures. Inutile de préciser que nous n’arrivions pas vraiment à introduire le traspié dans notre danse… et que toute notre bonne volonté engendrait plus de déceptions que de satisfactions. Beaucoup de danseurs sont sans doute passés par cette étape. Un peu plus tard, c’était en 2007 – et j’ai retrouvé des traces de notre inscription – nous avons suivi un autre stage dans un magnifique lieu proche de Carpentras, Le Château Juvénal, dont les propriétaires, viticulteurs reconnus ( y aurait-il un lien indéfectible entre le tango et le vin ? ), organisaient des séjours en tous genres car ils disposaient aussi de plusieurs gîtes pour héberger les participants. Le couple franco-britannique de professeurs, Pauline Reibell et Richard Manuel, proposait un programme alléchant après le cours d’ouverture sur l’abrazo et la connexion : entrées et sacadas, musicalité, milonga, structure de la danse, clefs pour l’improvisation, colgadas, volcadas de salon, vals : de quoi devenir de brillants danseurs … et nous nous sommes inscrits à tous les cours ! Etions nous séduits par la photo du couple de maestros et imaginions nous que nous pouvions atteindre une certaine classe, sans différencier le tango du bal de celui de la scène ? Heureusement, dans cette session, pour la première fois, une séquence insistait sur la musicalité et c’est sans doute celle qui nous a le plus servi car pour des débutants, les autres figures étaient souvent complexes et difficiles à introduire dans le bal. En outre, nous n’en soupçonnions pas les règles et codes et notamment le respect de l’espace des autres danseurs … Mais nous gardons de ce stage, qui se terminait par une milonga à Avignon, devant le Palais des Papes, un excellent souvenir et celui d’une convivialité insufflée par Brigitte, l’organisatrice anglaise de ces festivités que nous avons retrouvée plusieurs fois, y compris chez elle à Londres. Peut être était-elle le premier maillon d’un réseau international que nous étofferions au fil de nos rencontres ?
A la même période, en bons élèves soucieux de ne pas oublier les figures et conseils, nous avons commencé de répéter et réviser nos cours, dans un souci de perfectionnisme où chaque couple et chaque danseur apportait sa contribution, constatant que tout le monde n’avait pas la même mémoire, faute d’avoir noté ou filmé les pas et figures … C’est à cette époque que nous avons utilisé le grenier de notre ancien mas, aménagé avec un parquet, pour ces soirées qui se terminaient le plus souvent par un apéritif ou un repas convivial. De dortoir pour les petits-enfants, la pièce passait au statut de piste de danse et nous l’avions même annoncé sur la porte avec une pancarte métallique faite plus tard à Buenos Aires avec les dessins en filetes ! Quand on est toqué du tango … mais nous gardons aussi de cette période des souvenirs d’autant plus émus que plusieurs de nos amis danseurs ont depuis disparu. La rencontre avec Robert et Raquel allait nous faire franchir une étape décisive en nous procurant une approche plus authentique du tango argentin, celui qui se pratique dans les milongas portègnes. En effet, nous avions rencontré le couple au Festival d’Aubais que j’ai évoqué plus haut, lors de la milonga de despedida, celle qui marque la fin du stage et les adieux entre participants. Notre idée première était d’aller chez eux pour acheter des chaussures que Raquel fabriquait à Buenos Aires, ce qui donnait à la rencontre une attraction complémentaire indéniable. Ils nous avaient invités cordialement, en précisant qu’ils organisaient chaque semaine, dans leur Mas aux alentours de Nîmes, une milonga, alors gratuite et précédée d’un cours pour les débutants. Nous pouvions donc venir un peu avant la soirée pour choisir les chaussures et discuter. Notre étonnement fut grand en découvrant les lieux car, à l’étage d’un beau mas provençal, Robert et Raquel avaient aménagé une grande pièce avec parquet, petites tables rondes et bar, une vraie salle de bal portègne ( voir photo ci-dessous ). Je me souviens encore des paroles de Robert, précisant que le tango lui ayant tout donné, sa compagne, sa connaissance de Buenos Aires et du tango argentin, il avait plaisir à partager son amour et sa pratique de la danse avec les amateurs, en mettant à leur disposition ses installations et en partageant leur technique de couple par des cours gratuits. Cette générosité et l’ambiance que nous avons découverte à cette soirée ( belle musique, auberge espagnole, cadre agréable et danseurs sans prétention ) nous ont incités à nous inscrire au cours et à y entrainer un couple d’amis avec lequel nous partagions la route chaque mardi, quitte à rentrer tardivement et à ne pas compter les kilomètres parcourus. Mais surtout, Robert et Raquel nous ont ramenés à des ambitions plus modestes en nous faisant travailler sur un tango épuré où les quelques figures, placés à bon escient, étaient là pour enjoliver la marche, une marche que nous reprenions inlassablement à chaque début de cours, en corrigeant l’abrazo, la posture et en respectant le rythme donné par des musiques différentes et reprises plusieurs pour améliorer la pratique. Et puis, dans les discussions, Raquel nous parlait de Buenos Aires et de sa fabrique de chaussures, nous donnant à chaque fois envie d’aller en Argentine… Je ne sais plus pendant combien d’années nous avons ensuite fréquenté assidument les cours et milongas du club Abrazo, mais non seulement nous avons perfectionné notre danse, mais aussi fait de multiples rencontres amicales que nous croisons encore à l’occasion. Certains ont enrichi leur culture argentine, qui, en devenant DJ comme Hélène, qui en se lançant dans le chant comme Gérard et Chantal, qui en animant des milongas comme Nanouchka et certains, assez sûrs d’eux-mêmes, n’ont pas hésité à donner à leur tour des cours de tango ! Plus tard, l’initiative de Robert ayant pris de l’ampleur, nous avons pu suivre des cours avec un couple connu Adrian et Amanda Costa. Aujourd’hui encore, Robert et Raquel continuent sur leur lancée et préparent sans doute une nouvelle saison.
Après cette seconde étape dans notre itinéraire, je vais poursuivre avec une période plus dense qui mêlera à cette relation des cours, celle de notre participation aux premiers voyages à Buenos Aires et aux Festivals comme ceux de Tarbes, Saint Geniez d’Olt ou Aix les Bains. Mon souci sera toujours de prendre un recul humoristique avec ces périodes, peut être avec l’idée de me demander pourquoi toute cette agitation dansante a abouti, en tenant compte de l’âge, à une pratique si sobre mais toujours passionnée. Je suis donc preneur des réactions de mes lecteurs pour donner plus de mordant encore à ces souvenirs, précieux pour nous mais dont l’intérêt peut paraître moindre pour d’autres.