ITINERAIRE D’UN ENFANT GÂTE DU TANGO… 5 ) BUENOS AIRES : un premier séjour.

Quand on y séjourne pour la première fois, la Capitale de l’Argentine a quelque chose d’effrayant par sa surface tentaculaire et sa vie trépidante 24 heures sur 24 : il faut en assimiler vite le mode d’emploi. Heureusement, l’agence nous avait logé à San Telmo, dans un hôtel modeste mais calme, avec terrasse sur le toit – où nous répétions nos cours de tango ! -, et en contrepartie les chambres étaient étroites au point d’avoir des difficultés à y loger nos bagages. Cependant le quartier était séduisant et relativement tranquille, même quand la Feria du dimanche amenait son lot de touristes, fascinés par le côté insolite et bon enfant de cette manifestation, à laquelle j’ai d’ailleurs consacré plusieurs articles sur ce blog. Très vite nous avons su utiliser bus, métro et surtout les taxis pour des déplacements sécurisés,notamment la nuit, au retour des milongas. Et au besoin nous avons constaté qu’il y a souvent quelqu’un qui propose de vous aider, autre signe de convivialité argentine.

La ville, malgré le délabrement de certains quartiers, garde beaucoup des splendeurs d’une conception à l’européenne car elle a emprunté à l’architecture de Paris, Milan,Londres ou Madrid et certains monuments restent impressionnants. Nous prendrons conscience plus tard de cette influence du Vieux Continent, en rencontrant fortuitement une femme d’origine française dont le grand père, architecte, avait conçu plusieurs monuments du Centre et elle travaillait à la Banque d’Argentine, ce qui nous a valu la faveur d’une visite sous son guidage et nous avons notamment pu découvrir le cabinet des monnaies.Mais pour en revenir à la ville, nous avons été frappé aussi par son côté vert et fleuri, ses parcs où trônent des statues de toutes factures, et aussi par le calme apparent du port… Mais j’aurai l’occasion de revenir sur cette ville fascinante que j’ai déjà beaucoup décrite dans mon blog.

Car ce qui nous préoccupait au premier chef c’était bien les cours de tango et nous avions négocié un calendrier de « travail » avec Sébastian et Eugenia, un très jeune couple de la compagnie DNI. Ce qui frappait au premier abord dans le lieu où avaient lieu les cours, c’était une grande décontraction due sans doute à une clientèle bien plus jeune que nous, mais aussi au dynamisme du couple directeur dont Diana était l’âme bondissante et apparemment toujours gaie. Quant à nos maestros, ils étaient extrêmement prévenants et indulgents pour nos maladresses multiples. Nous avons toujours remarqué ce côté très naturel des professeurs argentins qui, tout en étant parfaitement conscients de leur supériorité chorégraphique d’une part, et de la manne touristique du tango par ailleurs, restent d’une grande modestie et d’un grand naturel. Nous retrouverons ces qualités chez des couples comme les Balmaceda, Joe Corbata et Lucila Cionci et quelques autres, avec comme règle essentielle enseigner dans la simplicité et la convivialité. Quelques professeurs, parfois improvisés, en France, auraient avantage à s’en inspirer… Aussi avons nous pu progresser et surtout partager des moments exceptionnels comme ce jour d’orage dans une période de chaleurs étouffantes où toute la troupe, pour le moins dénudée, s’est précipitée dans le patio pour bénéficier des bienfaits de la pluie. Et ce qui nous a surtout paru rassurant, c’était les moments de pratique où tous les élèves se retrouvaient après les cours et avec la possibilité de danser avec les professeurs. J’avoue avoir été très intimidé pour ne pas dire effrayé quand j’ai eu la possibilité de tenir la pulpeuse et électrique Diana dans l’abrazo, car je me sentais très maladroit. Les années suivantes, nous avons eu l’occasion de retrouver Sebastian et Eugenia, toujours avec la même gentillesse de leur part.

Pour compléter les cours réguliers suivis avec notre jeune couple, nous avons cru bon de suivre quelques séquences à l’Escuela argentina de Tango, au Centre culturel Borges, installé à l’étage des galeries Pacifico, Viamonte, dans l’enfilade de la Rue Florida. Là, tous les jours, se succédaient des séquences de 1h30 sur des thèmes variés et avec des professeurs divers, connus des amateurs et souvent animateurs de milongas qu’ils recommandaient aux danseurs. Nous avons ainsi eu l’occasion de travailler avec Aurora Lubiz, Jorge Firpo et Gabriela Elias entre autres. Il faut dire que nous avions une boulimie d’apprendre et je ne suis pas sûr, avec le recul, que tout nous ait été bénéfique. Mais je retiens le travail avec Aurora qui incitait les hommes à suivre « Technica para la Mujer » pour bien comprendre la posture corporelle et les mouvements imposés à la femme par le guidage, et aussi les cours de Milonga avec Jorge qui jouait des pieds avec allégresse et virtuosité. On voit que nous étions prêts à mettre nos corps à l’épreuve mais aussi à dépenser une petite fortune pour progresser ! Nous avons même suivi quelques cours qui précédaient les milongas, notamment au Club Sunderland qui organisait ses rencontres dans un gymnase, sous les panneaux de basket !

Autre découverte, celle du tango de rue, spectacle pour les touristes, mais exercé souvent dans les mêmes lieux fixes, susceptibles de regrouper des touristes avides de ces mini-spectacles improvisés. Chaque couple ou chaque groupe avait ainsi son aire de prédilection, notamment lors de la Feria de San Telmo. El Indio et ses partenaires successives dansaient à la Plaza Dorrego, tandis qu’un duo, Pocha et Osvaldo, plus vieux mais photogénique, et souvent accompagné d’une femme plus jeune, faisait chaque dimanche le bonheur des chalands, à la esquina du bar notable Dorrego. Des photos d’eux figurent dans beaucoup de revues, prospectus touristiques, blogs et autres écrits sur le tango, en particulier dans  » Barrio de Tango », anthologie écrite par Denise Anne Clavilier ( Editions du Jasmin, 2010 ). Enfin un groupe était actif Rue Florida, en face de la sortie de la Galerie commerciale Pacifico dont j’ai parlé plus haut, mais dans une rue aussi passante, les danseurs n’évitaient pas les excès du tango fantasia pour plaire au public.

Enfin, dans le registre touristique à l’authenticité discutable, le quartier du port à la Boca, présentait et offre toujours à ses terrasses, des spectacles autour du tango, souvent avec des musiciens, parfois organisés en orchestre et cette visite obligée eut surtout le mérite de nous faire découvrir le folklore et d’apprécier une zamba, dansée en costume. Et ce jour là, à l’entrée du quartier, nous avons rencontré un couple de chanteurs et cette sortie nous fit ainsi découvrir plusieurs facettes du tango et de la culture argentine.

Enfin, chaque soir et parfois l’après midi, nous avons découvert les milongas telles que les gens des quartiers les vivent en Argentine. J’en ai abondamment parlé dans mes divers écrits pour montrer comment le naturel, la convivialité, la qualité de la musique, et la simplicité de la danse donnaient une grande densité à ces rencontres, avec, pour chaque salle, une touche particulière due au cadre et au décor mais aussi au dynamisme de l’animation. Bien sûr nous avons particulièrement été fascinés par le cadre de la Confiteria Idéal que nous avions vue dans le film « La Leçon de Tango » avec Pablo Veron, mais aussi par le Salon Canning. Et quelques autres salles comme Boedo ou Sunderland, repérées grâce au petit guide avec plan de situation publié par les instances touristiques.

Ce qui nous a frappé, c’était la qualité de la danse, chacun évoluant selon les possibilités physiques du couple et pour la presque totalité des participants, complètement dans la musique, et dans le rythme et dans la compréhension des paroles pour les tangos chantés, privilège que les non hispanophones n’ont pas. Dur apprentissage pour des novices qui découvraient ce cadre, avec l’idée de mettre en application les figures apprises en cours. Nous avons vite compris que ce n’était pas de mise et que toute tentative de gesticulation faisait l’objet d’un discret mais ferme avertissement. Diable ! On n’était plus à l’époque de la bagarre au couteau, mais il fallait respecter les mouvements du bal ! Et surtout les codes d’invitation dans la plupart des milongas. J’en ai fait pour ma part la cruelle expérience dans une milonga où nous nous étions résolus à respecter la différenciation entre le côté des femmes et celui des hommes et nous étions allés jusqu’à entrer séparément ! Alors que nos épouses étaient déjà sur la piste, invitées par des Argentins, nous avons mis un bon moment à nous lancer, conscients de nos maladresses. Je me suis enfin décidé et avancé devant une danseuse… qui n’a pas bougé ! J’étais planté là, stupide et ne sachant que faire, mais la danseuse s’est enfin décidée en me disant  » Tu es Français ? Je suis aussi Française et je te sauve la mise mais l’invitation ici se fait à la mirada ! Tu ne le savais pas ?  » Et elle m’a expliqué brièvement de quoi il retournait. Double confusion : celle d’une situation ridicule et celle d’avoir cru inviter une Argentine dans des sites très fréquentés par les touristes en tout genre. J’ai retrouvé plus tard, dans des milongas françaises, celle qui m’avait sauvé la mise et nous en avons ri. Inutile de dire que le lendemain de cette mésaventure, nous nous sommes documentés plus en détail sur ces codes d’invitation dont nous avons compris toute la portée et que nous respectons encore aujourd’hui, toutes les fois que la disposition de la salle s’y prête. Et j’avoue être agacé par la désinvolture de quelques danseurs français qui tirent la danseuse de sa chaise par la main ou par un signe d’appel inélégant, lui enlevant la possibilité de refuser, quand le partenaire ne lui plaît pas ou quand elle est simplement fatiguée ! Il est vrai que le nombre de femmes esseulées est supérieur à celui des hommes et qu’il est tentant de ne pas passer son tour…Mais en Argentine, la plupart des danseuses se basent sur d’autres critères et n’hésitent pas à se dérober à une invitation qui ne leur convient pas !

Ce premier voyage a été une expérience très riche et partagée avec un couple d’amis et nous avons beaucoup appris. Pour notre part, séduits par la vitalité de la capitale et du tango, nous avions déjà l’idée de compléter nos découvertes et donc de revenir, alors que nos amis, trouvant les contraintes de la ville et celles de la danse trop grandes, étaient plus hésitants. Et en effet, en novembre 2009, seuls cette fois, nous étions à nouveau à Buenos Aires pour un deuxième séjour, qui se révèlera encore plus constructif.

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par chabannonmaurice

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