ROCIO

  Rocio, c’est la rosée, celle des aurores aux doigts de rose. Celles qui portent ce pré­nom sont entreprenantes, entre confiance et dévouement

      Petite fille, Rocio n’avait jamais été impressionnée par les gauchos qui rentraient du travail au galop, mouillés de transpiration et recrus de fatigue, après avoir surveillé les imposants troupeaux de l’estancia. Dans la région de Corrientes, ils faisaient partie du paysage et Rocio, malgré son nom poétique qui laissait supposer une certaine fragilité, n’était effrayée ni par les chevaux fougueux qu’il fallait savoir dompter, ni par les taureaux massifs aux cornes menaçantes, ni par l’allure virile et souvent rugueuse des peones qui partageaient leur temps entre les pâturages, la table et le lit. Ces derniers n’auraient pas osé le moindre piropo à son égard car ils savaient qu’elle était la protégée, fille unique du patron, sa petite dernière après trois fils qui assuraient avec lui la gestion du vaste domaine. Ils étaient tout simplement tenus à distance par sa beauté et sa fraîcheur. Juan, son père, avait espéré une fille après l’arrivée du fils aîné, mais il lui avait fallu attendre, car les deux naissances suivantes apportèrent encore des garçons. Aussi, avec sa femme, Amelia, avaient-ils longtemps hésité à choisir son prénom, hésitant entre Milagros, Miracle, et Rocio, Rosée et, Juan n’étant pas pratiquant, ils avaient opté pour Rocio, qui correspondait mieux à l’ambiance agreste de leur estancia

Un milieu naturel certes, mais rude, avec des pluies violentes qui transformaient les pistes en bourbier que seuls les chevaux et les 4X4 pouvaient parcourir avec quelques précautions. A d’autres périodes, la chaleur était écrasante et dans un paysage gorgé d’eau, les moustiques volaient en escadrille. L’estancia, à quelques kilomètres de Carlos Pellegrini, se situait dans les Esteros del Iberá, une zone marécageuse formée par l’ancien cours du Paraná et dont on parlait de faire une réserve protégée, susceptible d’attirer les touristes. Y vivent de nombreux animaux, dont les yacarés, une sorte de caïman, et les carpinchos, des rongeurs de taille impressionnante, recherchés pour leur cuir, sans parler de nombreux oiseaux. Les habitants étaient depuis longtemps acquis aux beautés sauvages de ce pays, et les gauchos s’étonnaient que les rares touristes qui s’aventuraient déjà dans ce lieu du bout du monde puissent s’évertuer à les prendre en photo car ils avaient toujours fait partie du paysage, comme les arbres ou les animaux. Rocio avait très vite frotté sa fragilité apparente à la rudesse de ce milieu et elle y grandit heureuse, prenant peu à peu de l’assurance, notamment pour monter les chevaux et approcher les troupeaux imposants. C’est sans doute là qu’elle prit une attirance particulière pour le cuir, celui des peaux des vaches qu’on abattait pour les asados, celui des moutons qu’on tondait pour la laine, et celui des carpinchos qu’on braconnait malgré les lois de protection qui entraient en vigueur.

Dès qu’elle avait su monter à cheval, Rocio avait compris quel soin il fallait apporter aux selles et aux harnachements. Pas seulement parce que les chevaux étaient l’outil de travail et que les gauchos en avaient plusieurs en charge, quand les activités exigeaient qu’on en change ; pas seulement parce qu’il y allait de la sécurité du cavalier et que la moindre négligence pouvait coûter cher ; mais aussi parce que les gauchos entretenaient une sorte de respect, voire de vénération pour une tradition argentine qui amenait chacun à être fier de l’animal, de son équipement et de soi-même. Peut-être la fascination qu’exerçaient les cavaliers sur le public tenait-elle à tout cela et Rocio se prêtait avec coquetterie au jeu des fêtes locales, où chacun rivalise d’élégance, chapeau et poncho bien ajustés, et bottes luisantes à grand renfort de graisse. Ce qui lui plaisait, en prime, c’était ce contact du cuir sous la main et quand son père lui offrit sa première selle, elle se jeta à son cou, et elle se rendit plusieurs fois dans la journée à l’écurie, dans la sellerie où on rangeait les harnais. Caresser la peau luisante de sa selle, s’imprégner de son odeur et appuyer sa tête dans le creux du siège lui procura un plaisir sensuel qu’elle retrouva quand elle monta son cheval avec le nouvel harnachement. Elle usa d’abord de bottes qui avaient servi à d’autres cavalières de la maison et sa seconde grande joie éclata quand, pour ses 18 ans, l’assemblée familiale lui offrit une belle paire neuve et que son père y ajouta des éperons de la collection familiale. Elle eut alors pleinement conscience, toute fille qu’elle fût, de faire partie de la confrérie des gauchos et d’une lignée qui partageait ce lieu avec la terre et les animaux. Et sans doute comprit-elle alors ce qu’était la Pachamama pour les nativos qu’elle était amenée à fréquenter et pourquoi le Gaucho Gil tenait une telle importance dans la région.

Après le lycée, ses parents l’incitèrent à aller à l’Université à Buenos Aires, considérant que les belles et bonnes études ne pouvaient se faire que dans la Capitale. Les trois fils suffisaient à la bonne marche de la ferme, et ils n’avaient jamais eu d’ambitions étudiantes, attachés qu’ils étaient à cette région de Corrientes, et à leurs cavalcades dans les étendues herbeuses. Le conseil de famille persuada Rocio que son avenir était à la ville, quitte à revenir plus tard, selon ses projets de vie, mais personne ne douta de sa probable réussite. Elle n’avait pas même, pour l’instant, d’attache sentimentale dans son entourage, et l’attrait de la nouveauté, de la capitale et des études l’incita à partir sans trop de regrets. Son installation ne se fit pas sans mal car le contraste était tel avec les Esteros, qu’elle avait l’impression de suffoquer dans les rues où l’agitation était permanente et où elle devait être des plus attentives chaque fois qu’elle traversait une avenue. Elle bénit ses parents qui avaient pu lui louer un appartement à Palermo, quartier plus tranquille, plus vert et, il faut bien le dire, plus huppé. Dès lors, étudiante enthousiaste, elle prit l’habitude de fréquenter les parcs proches pour y retrouver la verdure qui lui manquait. Elle écuma les musées, appréciant aussi bien l’art ancien que l’art moderne, sans oublier les arts populaires. Enfin sur recommandation d’un de ses frères, elle découvrit deux activités : le polo et la Feria de Mataderos.                                                                  

Le campo argentino de polo était tout proche de son appartement et elle s’y intéressa en assistant à des entraînements. En bonne cavalière, elle comprit que ce sport, dans lequel les Argentins excellent et où la complicité entre l’homme et le cheval est palpable à chaque minute, était une transposition virile des jeux de la pampa et des prouesses équestres du monde entier. Elle était fascinée par l’adresse des joueurs, certes, mais surtout par la vélocité des chevaux soigneusement sélectionnés pour ce sport et d’une grande maniabilité. Grâce à un ami amateur de ce jeu d’élite, elle put approcher les animaux et voir la qualité des harnachements et des soins. Bien que ce fût pour l’instant un sport plutôt masculin, elle fut tentée d’y faire sa place. Surtout, c’était un milieu trop aristocratique pour elle ! Quant à la Feria de Mataderos, elle s’y rendit par acquit de conscience, par fidélité à ses racines, mais persuadée qu’il s’agissait là d’un rendez-vous pour les touristes. En fait, chaque dimanche, c’est le creuset de la culture agricole argentine et celui de la nostalgie de la pampa, que Rocio partagea dès sa première visite au son de la musique et des danses folkloriques, dans une odeur de viande grillée et d’empanadas confectionnées sur place. De vieux gauchos s’y retrouvent, partagent le maté et l’asado et n’hésitent pas à se lancer dans la chacarera, la zamba et parfois le chamamé. Bref, cette ambiance festive et plus populaire, aux portes de Buenos Aires, lui plut beaucoup et elle y fit des connaissances dont une jeune femme, Susana, qui s’afficha vite comme une adepte du tango. « Comment ? tu es depuis plusieurs semaines dans la Capitale et tu ne danses pas ? » La question lui parut saugrenue car dans sa Province le tango ne tient pas la place qu’il prend à Buenos Aires. Les Portègnes imaginaient-ils que tous les Argentins appréciaient la danse et partageaient cette culture urbaine ?

Et pourtant, par curiosité, Rocio se trouva embarquée dans des milongas où elle se tint à la marge, près du bar, de peur d’être invitée car elle ne savait pas danser. Ne doutant pas de sa beauté naturelle, un peu sauvage, et de sa douceur de jeune femme, elle imaginait que son attraction sur les danseurs jouerait pleinement. Et puis elle appréhendait l’abrazo dont Susana lui parlait tant ! Alors, de son poste d’observation, elle admira les tenues recherchées des femmes, même pour celles issues d’un milieu très modeste : robes ou jupes toujours très fluides dans les mouvements, soulignant les figures de la danse, et surtout belles chaussures, d’une vertigineuse et fascinante élégance. Un homme aurait remarqué sans doute l’allure un tant soit peu érotique qu’elles donnaient aux jambes, le plus souvent gainées de bas, et la cambrure du bassin pour ne pas parler de la mise en valeur des pieds, joliment animés dans les adornos. Mais elle s’en tint à l’esthétique des escarpins, très différente d’une danseuse à l’autre. Comment celles-ci pouvaient-elles effectuer des figures si assurées sur des talons-aiguilles aussi sophistiqués ? Pourquoi pensa-t-elle immédiatement, qu’elle aimerait et pourrait fabriquer ces chaussures, dessiner les modèles, et que son goût du cuir l’amènerait à réussir ? Elle s’en ouvrit à Susana dans le taxi qui les ramenait chez elle et celle-ci, s’étonnant qu’elle ne pensât pas d’abord à apprendre la danse, lui dit : « Je suppose que la concurrence est rude, car je connais quelques boutiques qui ont dû fermer… mais nous pouvons en visiter certaines pour voir les modèles et te renseigner sur le métier. Mais tu devrais tout de même te lancer dans le tango, pour comprendre d’abord les postures et les équilibres. »

Le lendemain, Rocio appela ses parents pour leur faire part de son idée qu’elle voudrait transformer en projet. A sa grande surprise, son père abonda dans son sens, à condition qu’elle n’interrompe pas ses études universitaires ; il ajouta même qu’il pourrait lui envoyer des peaux et qu’il se renseignerait sur le circuit commercial de cette matière première indispensable. Il lui dit aussi qu’il connaissait un vieil ami, Emilio, qu’il avait un peu perdu de vue et qui était à l’époque aparador : il choisissait les peaux, les découpait selon les patrons pour des vêtements et des chaussures. Il allait essayer de retrouver sa trace. Et le papa d’ajouter : « Nous t’aiderons à mener à bien ton projet et, pourquoi pas, à louer ou acheter une boutique. » Rocio réalisa, compte tenu de ce qu’elle avait déjà vu à Buenos Aires, notamment dans les quartiers populaires, qu’elle avait de la chance d’être issue d’une famille plutôt aisée et d’être ainsi soutenue.                                                     

Dès lors, elle mena de front, avec entrain, trois activités parallèles : suivre des cours à la Escuela Cima, dans la section maroquinerie, apprendre le tango avec son amie Susana et surtout dessiner pour son plaisir des modèles raisonnables ou extravagants. Petit Léonard de Vinci laborieux, elle couvrait de croquis des carnets qu’elle avait toujours avec elle, s’inspirant ici et là d’une paire de chaussures qu’elle voyait dans une vitrine ou sur une passante. Elle fit aussi des recherches sur l’histoire des souliers, découvrant que les cothurnes des acteurs grecs de l’antiquité et les talons des nobles européens du 17ème siècle permettaient de se mettre en scène, tout comme les talons-aiguilles des danseuses de cabaret et ceux des femmes dans le tango… Elle s’inspira de modèles surannés et aussi d’autres plus récents pour dessiner, et prit conscience que la fantaisie ne se mariait pas nécessairement avec le confort. Il lui fallait absolument l’expérience de la danse et celle des professionnels. Le plus facile fut assurément d’apprendre le tango, et le dynamisme constant de Susana devint contagieux : elle invitait Rocio chez elle et avait toujours la musique prête, et comme elle s’entraînait à guider, elle apprit vite à son amie la posture et les pas de base. La souplesse que Rocio avait acquise comme cavalière et l’habitude d’une position très contrôlée firent que la jeune femme trouva plaisir et aisance dans la danse. Et, dans le groupe des amis et des cousins de Susana, les garçons rivalisèrent d’invitations dès qu’elle se sentit assez assurée pour fréquenter les milongas. Au début elle s’amusa des parentés entre la danse et l’équitation : le guidage et la position ne jouaient-ils pas le même rôle dans l’efficacité et l’élégance ? Mais elle écarta vite l’idée de se laisser mener comme une pouliche, elle qui avait été à l’écoute du cheval, et elle se dégagea d’une conduite trop contraignante : elle accorda beaucoup d’attention à sa liberté d’évolution, aux fioritures de ses pieds, autant pour mettre en valeur ce qu’elle apprenait peu à peu que pour tester son équilibre et bien sûr le confort de sa première paire de chaussures. Les cours à La Escuela furent plus laborieux quoique passionnants, car elle n’avait pas imaginé toutes les étapes de fabrication des objets, vêtements et surtout des chaussures. Entre le dessin du styliste et la finition jusqu’à la mise en vente, se déroulait une dizaine d’étapes, toutes importantes car le confort et l’élégance résultaient aussi bien de la forme que du choix du cuir qu’il fallait ensuite découper sans erreurs, assembler jusqu’aux finitions : la qualité importait tout particulièrement pour les danseuses rompues au choix de plusieurs paires assorties à leurs tenues vestimentaires ! Elle fut particulièrement attentive à deux étapes : celle du coupeur qui sélectionne le cuir, et celle du monteur, qui place le cambrion soutenant la voûte plantaire, la semelle et le talon, éléments essentiels pour la chaussure de tango. Mais elle réalisa vraiment toute la finesse de ces opérations en allant voir travailler Emilio dans son atelier. Le vieil homme ressemblait à Gepetto, la figure ridée et les mains noircies par le cuir et les cirages, mais celles-ci restaient d’une dextérité et d’une minutie étonnantes. En dehors du travail du dessinateur, de celui du formier et du choix des cuirs, sa formation artisanale lui permettait de réaliser toutes les autres étapes. Elle lui fit part de son projet, de son désir de travailler avec des artisans, et des possibilités de se procurer de beaux cuirs par l’intermédiaire de son père. Mais quand elle montra ses dessins à Emilio, celui-ci pointa du doigt une bonne moitié de croquis qui, selon lui, étaient irréalisables sous forme de chaussures confortables. Il eut cependant envie de l’aider car son enthousiasme était communicatif. « Je travaille actuellement pour un petit fabricant qui, à cause de l’âge, veut fermer et cherche à vendre ou louer sa boutique, bien située dans la rue Maipú, tout près du Micro Centro. C’est un bel emplacement mais es-tu prête à te lancer dans une concurrence difficile, dans le marasme économique actuel ? Et surtout auras-tu les pesos pour cette aventure ? » Grâce aux propositions de son père, Rocio avança qu’elle pensait pouvoir tenir le pari et ils prirent rendez-vous pour se retrouver quelques jours plus tard dans la tienda. Dans les jours qui suivirent, jamais elle ne douta de sa réussite et c’est souriante, comme si elle était déjà chez elle, qu’elle entra dans les lieux, faisant forte impression sur Eduardo, le vendeur qui lui fit bonne figure d’emblée. « Si tu as des idées et tes dessins en montrent quelques-unes, tu dois faire confiance à Emilio, qui ne retiendra que celles qui sont bonnes, portables et vendables. Et si tu transformes un peu ma vieille boutique, si tu as toute l’expérience de la danse, tu es jeune et jolie et tu réussiras. Tu acquerras vite les manières prévenantes de prendre en compte les clientes. Les bonnes danseuses sont parfois des emmerdeuses, mais elles peuvent t’acheter plusieurs paires à la fois ! », dit-il avec un clin d’oeil sur ces dernières paroles. Affaire vite conclue car Juan, son père fit le déplacement spécialement pour sa fille, apportant en cadeau, non seulement les pesos, mais aussi de très belles peaux qu’il avait lui-même sélectionnées, veillant à ce qu’elles n’aient ni piqûres d’insectes, ni écorchures. Rocio partagea alors son temps entre le dessin et l’atelier d’Emilio, le matin, la réfection de la boutique, l’après midi et les milongas le soir. Elle en profitait aussi pour distribuer dans les diverses salles un prospectus qui annonçait l’ouverture prochaine de son magasin : elle y vendrait les dernières chaussures de son prédécesseur mais surtout, elle testerait plusieurs de ses nouveaux modèles. Elle aurait voulu qu’Emilio aille plus vite pour confectionner les souliers dont elle devait présenter des pointures différentes. « Si tu veux avoir dès le départ une bonne réputation, il faut que les chaussures soient parfaites et je dois soigner particulièrement la facilité pour accrocher les boucles ! Les danseuses piaffent quand elles se préparent et l’accrochage des chaussures ne doit surtout pas les énerver ! »                                             

Quelques semaines plus tard, la boutique était pleine pour l’inauguration et les curieux s’y pressaient, autant pour voir la patronne dont l’audace commerciale étonnait, que pour voir les chaussures qu’elle avait créées. Ce qui frappait surtout, c’était les couleurs vives des escarpins, présentées avec grand soin dans des vitrines, séparées par des livres consacrés au tango et au folklore, et par des accessoires indispensables à toute danseuse : éventails, bijoux fantaisie, accroche-sacs…Et en bonne place sur le mur, s’exposait en majesté la photo de son père à cheval. Enfin Rocio avait aussi ménagé un espace pour exposer la plus belle de ses selles.  Clou de la présentation, sur une étagère particulière, dressé sur un tissu de poncho, trônait le modèle phare de la collection qu’elle avait baptisé “Milagros”, pas seulement parce que la chaussure semblait tenir miraculeusement en équilibre sur des talons extrêmement fins, mais parce qu’elle avait voulu rendre un hommage discret à ses parents en choisissant ce qui avait failli être son prénom. Sur le contrepied figurait une bande de carpincho. Les ventes du jour tinrent aussi du miracle et Emilio, qui avait revêtu son costume des grands jours, serra Rocio dans ses bras, en disant qu’il était fier d’elle et voulait bien travailler quelques années à son service. « Il te reste à tenir le pari en faisant ta place… et à trouver chaussure à ton pied ! Et en n’oubliant pas cette pampa à laquelle tu tiens tant, mais tu sais qu’elle est aux portes de Buenos Aires ! »

Comme pour les deux nouvelles précédentes, j’invite le lecteur à se reporter au lexique des mots argentins déjà utilisés et que je complète ci-dessous par le vocabulaire nouveau.

Adorno ( el ) : ornement, fioriture pratiquée dans la danse, avec la jambe ou le pied, pour rendre une figure plus élégante. Les femmes argentines excellent dans ces petits mouvements discrets, pour peu que le partenaire leur en donne la place et le temps.

Aparador (el ) : apprêteur, celui qui prépare le cuir, selon les patrons des chaussures, et éventuellement coud les diverses pièces.

Asado (el ) : c’ est un ensemble ( copieux ! ) de viandes et d’abats rôtis, principalement du boeuf, sur un gril plat ou tournant. C’est la préparation conviviale des fêtes en Argentine.

Campo ( el ) : le champ, le terrain.

Carpincho (el ) : sorte de gros rongeur qui semble tenir à la fois du rat et du castor et dont le cuir est apprécié en maroquinerie.

Chacarera ( la ) : danse folklorique originaire du Nordoeste, pratiquée généralement en groupe soit en face à face, soit en rond. Les femmes y montrent des jeux de jupe séducteurs, face aux hommes qui font des zapateos, frappements de pieds virils, hérités des traditions gauchesques.

Chamamé ( el ) : c’est une danse du Nord-Est, mais aussi du Paraguay et du Brésil, qui mixte des héritages guaranis et espagnols entre autres, sur un accompagnement de guitares et d’accordéon.

Empanada ( la ) : petit chausson, garni de viande, de fromage ou de verdure, spécialité argentine proposée dans des lieux spéciaux de cuisson ou dans les bars, restaurants … et en particulier dans les milongas.

Estancia ( la ) : ferme d’élevage et de culture, généralement sur une propriété étendue.

Feria ( la ) : foire, salon. A Buenos Aires, le terme s’applique à la Feria de San Telmo, rassemblement hétéroclite de brocante, artisanat, démonstration d’artistes et ventes en tous genres ; mais aussi à la périphérie, à la Feria de Mataderos, plus orientée vers les traditions, le folklore, l’artisanat et la cuisine des gauchos.

Gaucho ( el ) : éleveur et gardien de troupeaux, vivant de ce fait une vie nomade et libre : il reste une figure mythique de la vie et de la littérature argentines. José Hernández, avec son poème épique « Martin Fierro », en a fait un des représentants de l’identité nationale.

Maté ( el ) : ( Yerba Maté ) boisson traditionnelle argentine, stimulante, préparée par infusion d’une plante de l’espèce du houx. Sa culture à grande échelle est héritée des Guaranis. Sa préparation obéit à un cérémonial précis et sa dégustation se fait dans un récipient approprié ( maté ou calebasse ) et avec une pipette aplatie à une extrémité et un filtre à l’autre ( bombilla ). Offrir le maté et partager la même calebasse est un signe d’hospitalité et de convivialité.

Pampa ( la ) : ce sont les grandes étendues herbeuses réservées à l’élevage.

Peón ( el ) : ouvrier agricole, manoeuvre.

Peso ( el ) : unité de base de la monnaie argentine.

Piropo ( el ) : compliment galant fait à la danseuse par le danseur satisfait. Plus largement, compliment d’approche pour draguer. Les Argentines, lucides, ne sont pas dupes mais disent que les hommes mentent si bien que c’en est agréable !

Poncho ( el ) : vêtement typique de certains pays sud-américains, dans les Andes notamment, sorte de vaste cape en laine sans manches, et souvent colorée.

Tienda ( la ) : la boutique, souvent spécialisée sur un ou deux produits.

Yacaré ( el ) : variété de caïman pouvant atteindre une longueur de deux mètres.

Corrientes : C’est d’abord une ville, capitale de la province du Nord-est du même nom. C’est aussi le nom d’une des grandes avenues commerçantes de Buenos Aires.

Esteros del Iberá : dans l’ancien cours du fleuve Paraná, sept immenses lagunes d’eau douce constituent une réserve naturelle riche en faune et en flore, dans la province de Corrientes.

Feria de Mataderos : le quartier de Mataderos est, à la jonction entre Buenos Aires et le monde rural, le quartier des marchés aux bestiaux et des abattoirs, et on y fixe chaque jour le prix de la viande. La feria s’y déroule chaque dimanche et entretient les traditions gauchesques, dans une ambiance pittoresque.

Gaucho Gil : défenseur du pauvre et insoumis aux puissants, c’est une des figures révérées dans la Province de Corrientes, où on trouve beaucoup d’autels dédiés, garnis de drapeaux rouges et d’ex votos. Il fait l’objet d’un pèlerinage dans son sanctuaire aux abords de la ville de Mercedes. Les Argentins se nourrissent beaucoup de mythes et de manifestations religieuses syncrétiques.

La Pachamama : dans beaucoup de régions, les nativos amérindiens ont gardé le culte de la Déesse-Mère qui féconde la terre et préside au rythme des saisons. Sa vénération se mêle aux pratiques catholiques dans un syncrétisme religieux vivace, surtout dans les provinces du Nord et des Andes.

Palermo : un des quartiers de Buenos Aires qui concentre parcs, musées et belles habitations.

par chabannonmaurice

EN HOMMAGE A SAMUEL PATY

Comment ne pas être atterrés, sidérés et attristés par la mort brutale de Samuel Paty, Professeur d’histoire et géographie, à quelques mètres de son collège ? Comment ne pas penser à la douleur de sa famille, de ses proches, de ses amis, de ceux avec lesquels il partageait un sentiment d’appartenance à la communauté éducative de l’établissement et, au delà, de l’Education Nationale ?
Parce que j’ai exercé cette belle vocation de Professeur de Lettres avant de devenir Chef d’Etablissement, parce que j’ai aimé passionnément travailler avec les élèves, les collègues et les parents d’élèves et ainsi apporter ma contribution à une oeuvre modeste, mais difficile au jour le jour – celle de conduire des enfants et des adolescents vers l’âge adulte des responsabilités – parce que je dois moi-même d’être ce que je suis à des Maîtres et Professeurs qui m’ont montré les chemins de la connaissance et de la citoyenneté, parce que quelque part, je transmettrai cela en héritage à mes enfants et petits enfants, je me sens frère de Samuel et profondément révolté par sa mort.
J’ai tendance à revenir au tango pour dire la douleur, parce que sa musique est douleur. Je l’avais fait lors des attentats de Charlie Hebdo avec le tango « Silencio » de Gardel et Le Pera ( article du 8 janvier 2015 ). Il pourrait convenir encore mais je suis retourné à mon cher Horacio Ferrer et à  » Existir ». Pour avoir vu et écouté Horacio réciter ce poème qui philosophe avec gravité mais espoir sur les petits et grands aléas de l’existence, je garde toujours au coeur ce texte et la musique de Piazzolla qui l’accompagne en fond sonore. J’en extrais deux strophes que je dédie à Samuel, notre collègue sacrifié par l’obscurantisme.

Saber que un ser anónimo, en la esquina,
puede ser el que decida
nuestra vida en la aventura de existir.

Perplejo de existir como si fueras
inmortal, y ver que no.

Sachant que quelqu’un d’anonyme, à l’angle de la rue
peut être celui qui décide
de notre vie dans l’aventure d’exister

Perplexe d’exister comme si vous étiez
immortel, et de voir que ce n’est pas le cas…

Vous pouvez écouter des versions différentes de ce beau poème en cherchant sur You Tube. Mais je préfère celle ci-dessous car elle a été enregistrée lors d’une soirée à laquelle nous avons eu le privilège d’assister. Juan Carlos Copès y fêtait son anniversaire et Ferrer était invité. Il a récité Existir et Copès et sa fille ont dansé, sans musique, sur celle du texte. Superbe ! La danse et la musique sont aussi  proscrites par certains fanatiques, mais avec la danse et la poésie, Nous, nous restons libres ! 

 

par chabannonmaurice

EN INTERMEDE, informations argentines.

Dans deux articles datés du 03/01 et 20/01/2018 , je parle de notre découverte des provinces de Corrientes et de Misiones, au nord est de L’Argentine et tout particulièrement des Esteros del Iberà, vastes espaces lagunaires d’eau douce où la vie sauvage est restée active et qui ont été protégés de longue date en réserve naturelle. Nous avons été frappés par le côté authentique et j’ai éprouvé le besoin d’en faire le décor de deux nouvelles que je publierai plus tard. Pour l’heure, je trouve intéressant de diffuser cet article de  » Courrier international  » sur la réintroduction du jaguar, un animal mythique dans toute l’Amérique.

Vie sauvageEn Argentine, les jaguars sont de retour

6 MINTHE NEW YORK TIMES EN ESPAGNOL (MEXICO )Après de longues années d’efforts, une centaine de jaguars élevés dans des espaces clos vont être réintroduits dans un parc naturel protégé en zone humide. Une petite victoire sur la dégradation des écosystèmes à laquelle n’échappe pas l’Argentine. 

Une immense tâche les attendait : ils avaient été choisis pour être les premiers jaguars réintroduits dans les zones humides d’Argentine après plus de soixante-dix ans d’absence. Le problème, c’est qu’ils n’étaient pas très en forme.

Venue d’un zoo argentin, Tobuna était en surpoids, léthargique, et au crépuscule de sa vie reproductive. Sa fille, Tania, du même zoo, était peureuse parce qu’un tigre lui avait croqué une patte quand elle était bébé.

Nahuel nécessitait des soins personnalisés pour soulager ses douleurs dentaires qui le rendaient grincheux et pas d’humeur à s’accoupler.

Puis il y avait Jatobazinho, qui en 2017 avait débarqué dans une école de campagne du Brésil voisin, gravement déshydraté et affamé, incapable de se débrouiller seul dans une région où les terres agricoles grignotaient de plus en plus la jungle.

Une réserve prometteuse pour les jaguars

“Tous avaient vécu des histoires traumatisantes”, raconte Sebastián Di Martino, un biologiste qui supervise les projets de conservation de la fondation Rewilding Argentina. Cette initiative a pour objectif de restaurer les écosystèmes du pays en y réintroduisant des espèces disparues du fait de l’activité humaine.

Mais dans le domaine de la réintroduction des animaux sauvages, trouver des animaux en âge de se reproduire coûte souvent très cher et est très compliqué à mettre en place sur le plan logistique. Les biologistes n’allaient donc pas faire les difficiles.

Di Martino était donc ravi d’avoir des jaguars et de pouvoir lancer la phase la plus difficile de ce projet de plusieurs années visant à créer de vastes réserves protégées pour la faune sauvage au Chili et en Argentine.

Pour ces jaguars imparfaits, dont la plupart venaient de zoos, leur nouveau territoire, le parc national Iberá, devait leur sembler un vrai paradis rempli de proies.

Un couple d’amoureux des grands espaces

Qu’on en juge : sur place, des groupes de singes hurleurs jouent les acrobates d’arbre en arbre et s’expriment bruyamment. Les cerfs des marais et les capybaras broutent tranquillement, tandis que les cigognes volent dans le ciel.

Les jaguars ne sont pas les seuls animaux carnivores de la réserve. Lorsque les amateurs de kayak pagaient dans des passages étroits, ils doivent contourner des alligators impassibles qui profitent des derniers rayons du soleil.

L’idée de réintroduire des jaguars est née d’un projet de Kristine et Douglas Tompkins, le couple à la tête de Patagonia et de North Face, des entreprises de vêtements et d’équipements de plein air, avant que l’écologie ne devienne leur priorité.

Dans les années 1990, ils ont commencé à faire l’acquisition de terres évaluées à plusieurs millions de dollars dans le Cône Sud de l’Amérique du Sud. L’objectif du couple américain (Douglas Tompkins est mort en 2015) était à terme de créer des parcs nationaux.

Mais, dès le début, ils ont compris qu’il ne suffisait pas d’enrayer la déforestation.

“Un paysage sans animaux sauvages n’est qu’un simple paysage”, s’était entendu dire Kristine Tompkins en 1998, peu après avoir fait l’acquisition avec son mari d’un ancien ranch dans la province argentine de Corrientes, qui allait plus tard faire partie du parc Iberá, dans le nord-est du pays.

Pour nous, ce fut une révélation et une chance.”

Une toute petite victoire

Dans l’ensemble du Cône Sud, qui comprend le Brésil, les écosystèmes disparaissent à un rythme impressionnant. Chaque année, les bûcherons, les mineurs et les agriculteurs rasent de vastes portions de l’Amazonie et d’autres écosystèmes, pour transformer la canopée en prairies.

L’ampleur des destructions dans la région fait que même Iberá, et ses quelque 13 000 km2 de marécages et de lacs, apparaît par comparaison comme une toute petite enclave utopique.

Et réintroduire des jaguars dans ce paysage bucolique est une toute petite victoire contre une tendance écrasante.

Inverser la tendance n’est pas facile, et les écologistes en sont conscients, eux qui passent leurs journées et leurs nuits dans cette réservée isolée, obsédés par la question de savoir comment amener les jaguars, les loutres géantes et les tamanoirs à s’accoupler et, pour finir, à subvenir seuls à leurs besoins. Mais Di Martino ne flanche pas :

Nous ne pouvons pas rester en embuscade et nous contenter de résister. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons aller au-delà de la préservation des espèces et de leur restauration, ce qui signifie monter au front.”

Les champs de bataille choisis par les Tompkins ont parfois déclenché une vive hostilité. Lorsqu’ils ont commencé à acquérir des terres, ils ont souvent été reçus avec méfiance.

Destination touristique

Dans la province de Corrientes, on disait que le couple américain allait mettre en bouteille l’eau de source de la région et laisser derrière lui des terres désolées et desséchées.

“Il y avait des rumeurs selon lesquelles ils allaient exporter toute l’eau aux États-Unis”, raconte Diana Frete, vice-maire de Colonia Carlos Pellegrini, une petite ville qui est la porte d’entrée des zones humides. “Tout le monde était sceptique et méfiant.”

Mais les craintes des esprits chagrins ont vite été démenties, car la protection des espèces à Iberá et l’engouement des médias pour le retour des jaguars ont transformé le parc en destination touristique.

“C’était une ville où les gens étaient de passage”, raconte Frete, et de souligner qu’aujourd’hui environ 80 % de ses administrés travaillent dans le tourisme.

Aujourd’hui, nous nous en sortons mieux parce que nous avons fait le choix de la protection de la nature.”

Pendant des millénaires, les jaguars étaient des prédateurs dominants en Amérique du Nord et du Sud, et ils jouaient un rôle vital dans le maintien de l’harmonie des écosystèmes.

Mais la conversion des terres à l’agriculture ces deux derniers siècles a réduit leur territoire de chasse, et les jaguars ont fini par disparaître, notamment dans la province de Corrientes. Seulement deux cents jaguars sauvages vivent en Argentine, et on estime que ces majestueux félins sont en voie d’extinction.

Un félin intimidant

Si l’on se trouve en présence d’un jaguar, la vulnérabilité de cette espèce n’est plus si évidente. Lorsqu’ils sont paisibles, leur démarche assurée et souple ressemble à une chorégraphie. Mais dans le cas contraire, leurs coups de griffes et leur rugissement guttural inspirent la terreur. Kristine Tompkins l’avoue :

Auprès d’eux, je me sens toute petite et j’adore cette sensation. Pour une fois je ne suis pas au sommet de la pyramide alimentaire, et j’en tremble presque.”

Kristine Tompkins explique qu’en réintroduisant ces imposants félins aux côtés des loutres de rivière, des tamanoirs et des aras rouges et verts, elle veut démontrer que cette forme de conservation est non seulement possible mais aussi évolutive.

Il faut néanmoins beaucoup d’interventions humaines pour réussir à rendre à des régions comme Iberá les conditions naturelles qu’elles pouvaient avoir avant que les êtres humains ne viennent tout gâcher.

Di Martino dirige une équipe d’une dizaines de biologistes, de vétérinaires et de bénévoles qui, ces dernières années, ont passé un nombre incalculable d’heures à persuader les jaguars de s’accoupler.

Avant d’être relâchés dans la nature, les jaguars sont installés dans de grands enclos fermés où leurs aptitudes à la chasse et leur excitation sexuelle sont surveillées par un réseau de caméras de sécurité.

Le long processus vers l’autonomie complète

L’accouplement entre jaguars nécessite une parade nuptiale longue et compliquée. Les femelles en chaleur sont placées dans des enclos contigus à celui d’un mâle, ce qui permet aux biologistes d’observer si leur langage corporel trahit de l’agressivité ou du désir.

“Lorsqu’elle est intéressée, la femelle se roule sur le sol et commence à gratter la terre, explique Magalí Longo, une biologiste qui surveille les animaux sur des écrans diffusant les images de surveillance en direct. Vous savez alors qu’elle est prête.”

Le premier grand succès en matière de reproduction remonte à 2018, lorsque Tania, le jaguar femelle à qui il manque une patte, a donné naissance à deux petits. Avec Jatobazinho, le bébé jaguar qui avait failli mourir de faim au Brésil, ils font partie des cinq jaguars dont la capacité à chasser seuls est en train d’être évaluée par les biologistes.

Cette évaluation nécessite de relâcher les animaux dans des enclos de plus en plus grands, où ils peuvent chasser des proies vivantes comme des sangliers et des capybaras afin d’améliorer leurs capacités de survie. Si tout se passe comme prévu, les premiers jaguars devraient être relâchés à la fin de l’année ou au début de 2021.

Il pourrait donc y avoir une centaine de jaguars dans le parc d’Ibera d’ici une dizaine d’années. Une perspective qui ravit Magali Longo :

Nous réparons le mal que nous avons fait, et cela fait plaisir de commencer à voir des résultatsCe sera la fin de notre mission mais c’est pour la bonne cause.”

Ernesto Londoño

Cet article a été publié dans sa version originale le 02/09/2020.

Nos amis argentins garde un sens aigu de la nature et, malgré les difficultés économiques, essaient de maintenir un cap écologique.

Dans un monde différent, je recommande la lecture d’un petit ouvrage récent, qui parle d’amour avec une grande délicatesse, » Lettre d’amour sans le dire » par Amanda Sthers ( GRASSET éditeur )  » On m’a dit qu’au Japon, les gens qui s’aimaient ne se le déclarait pas. Qu’on évoquait l’état amoureux comme une chose qui dépasse les êtres, les enveloppe, les révèle ou les broie. »A LIRE ABSOLUMENT.

par chabannonmaurice

MATILDA

Matilda est d’origine allemande, à partir de mots germaniques signifiant force et combat. Les Matilda seraient puissantes dans les combats.

 

      Dans la famille de Matilda, personne ne s’intéressait à la musique, mis à part un oncle bandonéoniste qui jouait d’oreille, et qu’on ne voyait qu’à l’occasion des fêtes de famille qu’il animait volontiers. Il le faisait avec une allégresse contagieuse qui laissait deviner le plaisir qu’il avait à toucher son instrument. Dans ces occasions conviviales, Matilda était fascinée par la virtuosité des doigts de l’artiste, courant simultanément sur les deux claviers, et par les allers-et-venues du soufflet.

   Elle ressentait dans tout son corps que ce fueye était à la fois le poumon de l’instrument et de la mélodie, mais surtout du musicien qui semblait ne faire qu’un avec le bandonéon. Elle n’osait pas dire pour autant qu’elle souhaitait apprendre la musique et encore moins un instrument. Ce n’était pas de mise pour une fille, dans une famille où la culture et les loisirs tenaient peu de place, et où l’on avait bien du mal à assurer l’ordinaire. Les préoccupations quotidiennes et les difficultés économiques annihilaient toute tentation de loisir. Les parents de Matilda écoutaient volontiers du folklore sur le tourne-disque ou à la radio, car ils avaient des réminiscences du passé de leur propre famille, originaire de le région de San Antonio de Areco. Mais ils ne donnaient aucune priorité à l’art, fut-il populaire, préoccupés qu’ils étaient par les contingences difficiles de la vie quotidienne. Le tango était totalement absent de leurs distractions car ils ne dansaient pas, même lorsqu’ils consentaient à se rendre aux milongas du barrio pour y retrouver des voisins ou amis, autour d’un verre de vin ou de bière. Matilda enviait alors quelques unes de ses copines qui faisaient leurs premiers pas dans les bras d’un frère ou d’un cousin… Et elle rêvait aussi d’être invitée à son tour mais comme elle passait inaperçue, avec un physique un peu ingrat et une timidité affichée, ce n’était pas le cas et elle souffrait de cet anonymat.                               

   Pourtant, elle ne manquait pas de témérité et à l’école, où elle avait une réputation de «garçon manqué», elle n’hésitait pas à se mesurer aux jeux de foot des copains et jamais les petits mâles n’avaient osé l’écarter. Il faut dire qu’un jour de rixe dans la cour de récréation, elle avait su prendre la défense d’un jeune nativo que les autres prenaient pour un souffre-douleur et que le coup de poing qu’elle avait donné, à cette occasion, à Sebastian, avait calmé tout le monde. Sans impressionner autrement que par une assurance physique que les autres filles n’avaient pas, dans un machisme familial ambiant. Mais surtout, elle brillait par les excellents résultats scolaires qu’elle obtenait avec aisance : elle s’imposa vite comme une personnalité que tout le monde aimait et respectait. C’est à l’école primaire qu’elle découvrit, en s’inscrivant à la chorale, les premières joies de la musique, les exigences du solfège et surtout la convivialité du choeur chantant. Elle qui était tentée de devenir une vedette de la scène, savoura de se fondre dans l’ensemble, et vibra au final majestueux de la plupart des morceaux d’un répertoire modeste. Elle appréciait particulièrement les thèmes religieux, bien qu’elle n’eût pas l’éducation correspondante, mais elle sentait qu’ils disaient quelque chose… Elle continua au collège, et par delà les études, multiplia les activités. Notamment en faisant du sport, souhaitant, là aussi, dépasser les activités réservées aux garçons. Comme il n’était pas possible d’envisager une équipe de football, elle créa un groupe de hand-ball qui exigeait moins de joueuses. Enfin, elle découvrit le tango, parce que le professeur de musique en parlait avec chaleur et que plusieurs des copains masculins, proposaient enfin de lui servir de partenaires, souvent avec l’idée de la tenir dans leurs bras au delà de la danse. Elle ne fut pas empressée pour autant, peut-être freinée par ses déconvenues passées et le manque d’engouement familial. Elle fut plus sensible à la musique et aux letras, la plupart lui paraissant des poèmes séduisants.

   Ses résultats scolaires étant excellents, elle souhaita continuer ses études mais, compte tenu de la condition modeste de ses parents, elle se garda d’en parler tout de suite. Sa joie fut totale et affectueusement reconnaissante quand son père l’inscrivit au lycée. Avait-il été influencé par les professeurs, ou pressentait-il l’importance des études pour les jeunes générations ? Sa mère, elle, souhaita qu’elle apprenne le français, «la langue des amoureux et des grands poètes» à ce qu’elle disait. Comment le savait-elle ? Par quel moyen avait-elle appris à lire cette langue ? Matilda découvrit, à cette occasion qu’on connaît souvent mal ses parents, qu’on ignore leurs propres passions, et qu’on ne soupçonne pas toujours les sacrifices qu’ils sont prêts à faire pour la réussite de leurs enfants. C’est ainsi que sa maman détailla ce qu’elle savait de leurs lointaines origines françaises. Toujours est-il qu’elle eut l’impression, au lycée, d’être comme un jeune chien fou dont on a lâché la laisse et qui court à la découverte de tout. Non seulement elle s’inscrivit au cours de français en option, mais elle se jeta sur la bibliothèque et fréquenta assidûment la salle de musique pour perfectionner son solfège et participer à une chorale plus ambitieuse que celle du collège. La directrice du choeur avait adapté pour cette année scolaire « Volver » de Gardel, audace d’enseignante qui ne voulait pas trahir le compositeur vedette mais le faire aimer par des étudiants qui trouvaient le tango « vieux jeu ». C’est cette passionnée de tango, de culture argentine – elle adapta aussi pour la chorale « La Luna Tucumana » – et d’opéra qui invita Matilda à s’inscrire au Conservatoire de musique, à la fois pour renforcer son solfège et choisir entre le chant et la pratique d’un instrument. Elle n’eut aucune hésitation et choisit le cours de bandonéon, pas seulement pour réaliser ses rêves d’enfant, mais aussi parce qu’elle venait d’apprendre qu’à l’initiative de plusieurs jeunes musiciens, Emilio Balcarce avait accepté de sortir de sa retraite prématurée, de laisser sa femme promener seule leur chien, pour donner des conseils sur les pratiques de La Vieille Garde. Elle espérait secrètement faire de rapides progrès et, poussée par l’ambition, être partie prenante des élus qui travailleraient avec le célèbre bandonéoniste.           Cette période fut pleine d’exaltation, d’abord parce que Matilda mit les bouchées doubles pour la pratique de l’instrument dont elle assimila vite la complexité diabolique, avec l’image des doigts de son oncle courant sur le clavier comme stimulant permanent. Elle assista aussi à des répétitions de l’orchestre-école de Balcarce, ne perdant pas une miette des paroles du vieux sage dont l’air bonhomme et les yeux pétillants imposaient le respect. Elle progressa si vite, qu’au bout de l’année, elle désira posséder son propre instrument et rendre celui que le Conservatoire lui prêtait. C’était un rêve fou, car elle savait pertinemment que ses parents, cette fois, ne pourraient pas l’aider et elle cherchait des petits boulots, quand survint le petit miracle. Une petite bande de copains qu’elle fréquentait régulièrement décida de créer un orchestre et de jouer « à la gorra » dans les ferias et chaque fois qu’une occasion se présenterait. Les recettes devaient aider ceux qui avaient des difficultés à acheter leur instrument. La Feria de San Telmo fut leur terrain de prédilection et rapporta de petits pactoles grâce aux touristes qui s’émerveillaient vite de tout ce qui touchait au tango. Ils jouèrent aussi dans plusieurs milongas de quartier, avec un succès grandissant. Assez rapidement, Matilda put envisager l’achat de Son Bando grâce à l’argent gagné, aux quelques économies qu’elle avait réalisées, et à la générosité d’Oscar Fischer, un facteur et vendeur de bandonéons, qui, par amour de la tradition perpétuée par les jeunes musiciens, acceptait volontiers d’étaler les paiements. C’est ainsi qu’un beau matin, Matilda put poser sur ses genoux, un « Double À » authentique qu’elle essaya, de concert avec Oscar. Elle fut au bord des larmes, à écouter les premiers sons tandis que le vendeur frottait sa barbe blanchissante pour dissimuler, lui aussi, son émotion. Magnifique journée qui ouvrait sur tous les possibles… 

   Par delà sa réussite dans les études avec l’idée de devenir professeur de musique, Matilda rêve d’une carrière artistique. Est-ce qu’une Argentine ne pourrait pas faire aussi bien et mieux qu’un Japonais ou une Coréenne qui s’exilent plusieurs années pour étudier le bandonéon ? Elle sait que Yuki Okumura va, avec quelques vieux solistes de « Los Reyes de Tango », donner un concert avec l’instrument mythique de Troilo, dans l’Eglise de San Telmo, avant d’intégrer l’orchestre Sans Souci ? Est-ce qu’une Argentine motivée, ne serait pas capable d’égaler les hommes qui se targuent d’être les Maîtres en la matière ? Les pianistes, les chanteuses, les flûtistes… ont prouvé qu’elles étaient les égales des mâles, alors pourquoi pas elle ? Elle connaît son énergie mais Emilio Balcarce l’a aussi mesurée et, nouvelle générosité, telle que seuls les Argentins savent en prodiguer, il lui propose de travailler avec elle. Dès lors, elle progresse à grands pas, d’autant qu’elle joue aussi en duo avec plusieurs membres de l’orchestre-école, soucieuse du va-et-vient harmonieux et harmonique avec les autres musiciens. La musique dans l’orchestre, comme dans le chant choral, est un échange permanent, dialogue, conversation, rivalité, solo et un grand tout fusionnel qui fait le mystère d’une interprétation réussie. Et pour travailler les nuances, Matilda reprend sans cesse les partitions, le soir, dans son petit appartement, après qu’elle ait terminé le travail scolaire de ses études. Mais elle est trop crispée sur son instrument : il faut qu’elle gagne en spontanéité, sans perdre ni en technique, ni en émotion. Elle visionne fréquemment des vieux films de Troilo et voudrait approcher le talent du Maestro. Elle en a fait son idole, surtout quand elle a découvert que, dans certains tangos, Anibal pleurait en jouant, tant il faisait corps avec le tango qu’il interprétait !               

   A force de ténacité, elle a acquis une virtuosité que d’autres bandonéonistes lui envient et elle cache encore prudemment plusieurs ambitions : intégrer un orchestre, monter plus tard le sien, mais elle voudrait aussi détacher le bandonéon du seul tango pour explorer toutes les possibilités musicales de cet instrument arrivé en Argentine dans les bagages des Allemands et Polonais. Le premier objectif est vite atteint, car avec l’appui de Varchausky, le contrebassiste, qui a persuadé en son temps Balcarce de revenir au tango, elle intègre une jeune formation qui est en train de faire sa place, ne serait-ce que parce qu’elle ne comprend que des filles et qu’elle met à l’honneur un compositeur injustement oublié Sciammarella. C’est sa petite fille, voulant lui rendre justice, qui est la fondatrice et chante en même temps. Quand elle rejoint le « Sciammarella Tango », elle a la bonne surprise de retrouver Cindy, une bandonéoniste chilienne qui s’est imposée dans plusieurs orchestres et qui ne met pas, dans le tango, les mêmes enjeux que les musiciens argentins : elle est plus décontractée et du coup, sa musicalité est d’une très grande fluidité… Matilda lui devra beaucoup dans l’amélioration de son jeu. Sous l’impulsion de sa fondatrice, l’orchestre est partout, et notamment à La Confiteria Ideal où elle a obtenu un contrat pour un cycle de milongas hebdomadaires. Le dynamisme des filles fait merveille et enchante même les vieux tangueros habitués de cette piste réputée.

   En prime, cette bande de filles mène joyeuse vie et quand elles descendent dans un bar ou un restaurant, leurs rires en cascade ne passent pas inaperçus ! Matilda se sent dopée et heureuse, sans délaisser pour autant sa formation pédagogique car elle voudrait aussi transmettre et elle a déjà quelques projets bien précis en tête. En fin d’année elle obtient brillamment son diplôme et peut prétendre à un poste, à la grande satisfaction des parents. Sa mère, cependant, ne peut s’empêcher de lui laisser entendre qu’elle aurait préféré la voir enseigner le français parce que la musique lui paraît plus aléatoire.

   La saison de l’orchestre terminée, Matilda renonce à monter tout de suite sa propre formation car elle appréhende les difficultés de gestion dans le contexte économique tendu et en permanence instable de la Capitale et de l’Argentine. Elle choisit prudemment la sécurité du travail d’enseignant, mais demande un poste dans un quartier déshérité car son projet est d’abord de travailler avec des enfants de familles pauvres auxquels elle voudrait permettre de contourner les difficultés financières et culturelles. Plus tôt on imprègnera les élèves de culture, plus on a de chance de les arracher à l’oisiveté et de faire émerger les talents… Matilda a joué récemment avec Analia, une ancienne pianiste de Color Tango qui s’est lancée dans le même projet et a déjà obtenu quelques succès spectaculaires. Celle-ci l’a convaincue de lui prêter main forte : elle organise des milongas, des concerts et des spectacles dont le bénéfice finance des actions en direction des jeunes. Dès lors, Matilda se donne toute entière à cette affaire, et par delà la musique comme magnifique bouée de sauvetage, elle cultive des relations humaines riches, tant avec les autres professeurs qu’avec les élèves et leurs parents. Un soir, un père de famille nombreuse s’enhardit à venir la remercier, avec autant de timidité que de sincérité : surprise mais touchée, elle se réjouit de rendre ce qu’elle a reçu. Folklore et tango doivent rester le ciment social d’une nation qui n’a pas totalement apuré les traces de la colonisation espagnole. Et le même soir, en buvant la bière avec les copains, sans retenue, car sa journée a été transfigurée par la démarche du père de famille modeste, elle se dit que ses projets personnels artistiques sont peut être vains, s’ils se bornent à sa seule satisfaction égoïste. Elle est libre, et même si elle a de temps en temps un petit copain, elle n’a aucune attache sentimentale : elle pourrait saisir les opportunités, diversifier ses chemins, voyager au besoin, et ainsi enrichir son expérience. 

   Justement, Analia lui fait rencontrer Ramiro Gallo, un violoniste qui cherche un bandonéon soliste pour monter « La Misa Tango » de Palmeri, oeuvre qu’elle connaît mais qu’elle n’a jamais eu l’idée d’explorer. A l’imitation des messes sacrées des grands compositeurs classiques, Martin Palmeri a voulu traduire la ferveur populaire argentine en empruntant à la culture du pays, folklore et tango, choeurs et soliste à l’appui. Le pari du compositeur a été de marier la facture classique de la messe solennelle avec des morceaux culturels et chantés qui rythment la liturgie. Avec une interprétation qui emprunte aux sonorités du tango, l’orchestre de chambre ressemblant un peu à une tipica : trois violons, une contrebasse, un violoncelle et surtout, un bandonéon et un piano qui font des solos étonnants. Quand elle a écouté pour la première fois l’Agnus Dei, où le bandonéon ouvre par un chant grave, repris successivement par la soliste, puis par le choeur, elle a vécu une émotion inattendue, différente de celle qu’elle ressent toujours en jouant dans les milongas. Elle qui n’est pas croyante, s’est sentie transportée par la fusion entre les instruments, le choeur et peut-être le Ciel ! Son challenge a été immédiat : réussir une prestation en harmonie avec celle de l’orchestre et des chanteurs. Et bien sûr, avec son talent, elle est dans le ton : les applaudissements qui crépitent dans le grand amphithéâtre de L’Usina del Arte sont une récompense, mais pas autant que celle que lui donne le compositeur, au piano ce soir-là, et qui vient la remercier et la prend par la main pour s’avancer sur le devant de la scène avec elle et la soprano. Pour Matilda, ce fut un très grand soir, d’autant qu’à la sortie l’attendait une Française qui lui propose de venir donner des cours au Festival de Tarbes et d’oeuvrer avec elle pour que la Misa soit donnée dans le même cadre.

   Dans les années qui suivront, notre bandonéoniste saisira toutes les opportunités : cours et concerts dans plusieurs festivals, en Argentine et en Europe, travail dans des Conservatoires où elle n’hésitera pas à jouer du Bach au bandonéon, peñas dans les cafés de Buenos Aires, retour aux sources avec l’orchestre El Afronte à la feria de San Telmo, hommage à Piazzolla à l’Academia del Tango, nombreux concerts en duo avec les musiciens en vue, car elle aime arranger ces dialogues qui mettent en lumière les artistes et les morceaux choisis… Aux dernières nouvelles, la situation économique du pays s’étant beaucoup dégradée, Matilda a vu ses prestations moins fréquentes, les salles de concert et de danse s’étant mises en sommeil. Pour assurer l’ordinaire, car les cours se font aussi moins nombreux et sont moins bien rémunérés, elle s’est résolue à animer des croisières de tango de Buenos Aires à Valparaiso. Aux dires de ses parents, elle est heureuse, toujours célibataire, mais peut être bien que son bandonéon lui suffit ? Non, car à son retour, elle veut tenter de monter son propre orchestre quelles que soient les difficultés : elle a un besoin urgent du dialogue avec les autres instruments pour mettre en valeur le sien et exalter pleinement le tango…

Se reporter au lexique des mots argentins dans les nouvelles précédentes pour les mots déjà utilisés précédemment.                                                                                                                                 

*Barrio (el ) : quartier qui, à Buenos Aires, au delà de la division cadastrale, et administrative, se charge d’une dimension affective forte, souvent due aux regroupements par origines européennes ( espagnols, italiens…) ou aux souvenirs personnels qui y sont attachés. C’est le leitmotiv de nombreux tangos et le mot se retrouve dans plusieurs titres.                                                                   Feria ( la ) : foire, salon. A Buenos Aires, le terme s’applique à la Feria de San Telmo, rassemblement hétéroclite de brocante, artisanat, démonstration d’artistes et ventes en tous genres ; mais aussi à la périphérie, à la Feria de Mataderos, plus orientée vers les traditions, le folklore, l’artisanat et la cuisine des gauchos.                                                                                          La gorra : la gorra est une casquette. L’expression signifie qu’au lieu de prétendre à un cachet, les artistes espèrent recueillir de l’argent dans une coiffure (au chapeau chez nous)                                La letra : texte du tango, le plus souvent poétique.                                                                        Nativos ,Indios (los) : désigne les autochtones ou indigènes. Un peu péjoratif pour indios.                Tanguero (a) ( el-la ) : danseur de tango.                                                                                                    Tipica ( la ) : formation d’orchestre, en principe de huit à dix musiciens ( piano, contrebasse, violons, bandonéons, guitare ), parfois avec un chanteur         

* La luna tucumana ( La lune tucumane )zamba, musique et paroles de Atahualpa Yupanqui ( 1957 ). C’est un des grands succès de la chanteuse Mercedes Sosa.                                              Misatango( Messe à Buenos Aires ) : composée en 1996 par Martin Palmeri, musicien encore vivant, cette oeuvre pour choeur, orchestre à cordes, piano et bandonéon, l’est sur le modèle des messes classiques, en introduisant de éléments du folklore et du tango argentin.                                Volver( Revenir ) : tango, musique de Carlos Gardel et letra d’Alfredo Le Pera ( 1935 ). Un autre morceau emblématique de la symbiose entre les deux artistes. Il chante le retour au pays et aux souvenirs, la fuite du temps et des rêves “Sentir / que la vie n’est qu’un souffle, / que vingt ans ne sont rien”. Ce tango clôt le film “El dia que me quiéras”. 

*Balcarce Emilio : musicien ( violon, bandonéon), chef d’orchestre, compositeur, arrangeur (1918-2011), il a travaillé avec divers orchestres célèbres dont ceux de Troilo et Pugliese, avant de fonder le Sexteto Mayor qui s’illustra dans des tournées internationales. Il fut tiré de sa retraite par de jeunes musiciens, dont Ignacio Varchausky, soucieux de retrouver le style et les techniques des années 40 et fonda un orchestre école, devenu une des institutions du tango. Son tango le plus célèbre : “La bordona”. Voir sur ce dernier point le film “Si sos brujo” “ Si je suis ensorceleur”.         

Color Tango : une tipica actuelle célèbre conduite par Alberto Alvarez, bandonéoniste et disciple de Pugliese. L’orchestre joue dans le style du Maître et a produit un CD d’oeuvres inédites de celui-ci, en 2006.                                                                                                                                       

 El Afronte Tipica : Cet orchestre, créé par des jeunes, voulait à l’origine donner au tango des couleurs modernes avec des influences jazz, voir rock et des jeux de lumière et de fumée. Il joue in vivo dans une salle de San Telmo et s’est un peu assagi avec l’expérience.                                           

Gallo Ramiro : violoniste et compositeur né en 1966, il a touché à tous les genres ( classique, folklore, jazz… ) avant de marquer le tango par des compositions et interprétations très personnelles comme “La suite borgeana” inspirée des textes de Borgès. Il est de ceux qui ont favorisé le retour d’Emilio Balcarce et la fondation des orchestres-écoles.                                         

La Confiteria Ideal : un des lieux mythiques du tango à Buenos Aires, une ancienne pâtisserie reconvertie en salle de danse, sur deux niveaux somptueux avec colonnades, maintenant un peu délabrée. Elle a servi de cadre idéalisé à des films (“La leçon de tango”) et à des documentaires sur le genre. Dans les années 1950, les confiterias jouaient un rôle privilégié dans la transmission du tango, des vieux milongueros aux jeunes néophytes. 

Los Reyes del tango : fondée en 1992, cette tipica perpétue le style de d’Arienzo des années 40 et 50, et c’est merveille de voir jouer les trois bandonéonistes âgés qui composent le pupitre de cet instrument, à côté des 3 violons, piano et contrebasse. Ils sont très appréciés dans les milongas portègnes.                                                                                                                                             

San Antonio de Areco : une des villes les plus anciennes du pays, à un peu plus de 100 kms de Buenos Aires : cette localité entretient la tradition gauchesque.                                         

Sciammarella Rodolfo : pianiste, compositeur et auteur de letras (1902-1973). Injustement oubliées, ses oeuvres ont été remises en lumière par un orchestre de femmes créé par une de ses descendantes.                                                                                                                                       

Tipica Sans Souci : cet orchestre, créé en 1999, recrée et maintient la tradition du tango des années 40, style Maderna et Miguel Caló et se produit le plus souvent avec le chanteur “Chino” Laborde, une des gloires actuelles.                                                                                                   

Troilo Anibal :   bandonéoniste d’exception, chef d’orchestre et compositeur (1914-1975), vedette de l’âge d’or du tango, il était adulé avec divers surnoms (El Gordo, Pichuco). Prodige de l’instrument à 10-11ans, il a travaillé avec les plus grands orchestres avant de fonder la Tipica Pichuco encore considérée comme le meilleur ensemble de tous les temps, et de susciter l’essor de grands artistes, chanteurs, musiciens, dont Piazzolla. L’adulation des Argentins pour ce maestro a fait choisir sa date de naissance, le 11 juillet, pour fêter le Jour du Bandonéon, véritable fête nationale. Pichuco jouait d’abord pour faire danser les gens et il arrivait qu’il pleure d’émotion, sur certains morceaux.                                                                                                                         

Usina del Arte : un des lieux culturels récents, aménagé dans une ancienne centrale électrique de la ville de Buenos-Aires, où se déroulent concerts, manifestations gastronomiques, expositions… 

Varchausky Ignacio : contrebassiste et compositeur né en 1976, il fonda l’orchestre El Arranque qui a beaucoup contribué à la diffusion du tango dans les années 2000. Avec Ramiro Gallo, il a ramené Balcarce à l’enseignement des techniques orchestrales. Il consacre aussi une partie de son énergie à la sauvegarde du patrimoine d’enregistrements anciens.                                                

La Vieille Garde : dans l’histoire du tango, on distingue plusieurs périodes et celle qui va de 1895 à 1925, voit le genre se structurer sous l’influence de compositeurs et musiciens marquants, de Villoldo à Bardi, en passant par Arolas et Canaro. Les letras traduisent souvent la vie mouvementée des auteurs et le décor urbain, avec une certaine unité.

  • Je termine cette seconde publication d’ une deuxième nouvelle en recommandant parallèlement la lecture du livre de Haruki Murakami « Des hommes sans femmes » ( Belfond Editeur ). C’est un recueil de nouvelles d’une grande originalité : « des hommes cherchent des femmes qui les abandonnent ou sont sur le point de le faire. Musique, solitude, rêve et mélancolie… »( extrait de la 4ème de couverture ). 

par chabannonmaurice

UNE PREMIERE NOUVELLE : « ELODIA »

                                                                    

Elodia signifierait « Parfum de la terre »

et « Richesse des richesses »

Celles qui portent ce prénom sont extraverties,

émotives et aiment se donner en spectacle …

 

 

          Dans l’espace étroit du bar, étrangement installé dans une sorte de couloir, attenant au salon de coiffure, Elodia ne passe pas inaperçue. Sa stature imposante masque en partie une vitrine de flacons de parfums à l’ancienne, tout près du vieux bandonéoniste au costume défraîchi. Il faut dire que la robe toute en paillettes bleues qu’elle s’est visiblement elle-même confectionnée pour l’adapter à sa taille, ne dissimule en rien son embonpoint. Bien au contraire, et comme elle s’est en plus affublée d’un chapeau en forme de capeline noire, qu’elle a orné d’une voilette et d’une fleur dans le même tissu que la robe, elle apparaît, pour ceux qui découvrent ce lieu, comme un personnage qui serait sorti d’un film d’Amoldovar ou de Fellini. Seins énormes, taille lourde, ventre saillant, bras rabelaisiens aux mains potelées de graisse et face rubiconde : c’est aussi une gaillarde digne d’un tableau de Breughel !

        Et pourtant, rien de ridicule en elle, parce qu’elle chante ! Elle interprète un tango, «Angustia», et elle le fait avec une telle conviction et une telle sensibilité que le public oublie sa silhouette. D’ailleurs, pour les habitués, elle est là, à toutes les séances. Tout son corps vit le tango : yeux mi-clos, bras et mains soulignant les paroles, posture droite, elle transmet son émotion à un auditoire captif parce qu’il est subjugué. C’est l’étrange magie du tango chanté qui envahit d’autant plus le spectateur attentif, qu’il l’écoute dans un lieu des plus populaires. On pourrait prendre la chanteuse pour La Castafiore et pourtant, on croit entendre Rinaldi. Son visage s’illumine de la beauté du tango et de l’expressivité de son interprétation. Elle chante. Ses yeux, quand ils ne sont pas fermés, brillent d’immersion dans le texte, mais aussi de complicité avec le public qui écoute religieusement. Tous connaissent ce tango célèbre et le fredonnent… Elle chante et on oublie le plâtras de rouge à lèvres, couleur «rouge baiser», avec lequel elle a dessiné outrageusement sa bouche sur un maquillage qui n’est pas plus discret. Elle n’est plus que La Chanteuse et quand elle termine sur le dernier vers, avec un grand mouvement du bras qui clôt le tango, ponctuation définitive et théâtrale en point d’orgue sur le dernier marcato du bandonéon, c’est une salve d’applaudissements qui la remercie. Ils sont vite renforcés par des cris « 0tro ! otro ! otro ! » Elodia en est toute rougissante et murmure qu’elle chantera à nouveau plus tard. D’ailleurs, un autre interprète se déplace déjà vers le musicien, partition à la main, mais le bandonéoniste fait signe qu’il n’en a pas besoin. Pourtant, le chanteur, à la mémoire défaillante, devra, lui, s’y reporter plusieurs fois au cours de sa prestation, tout aussi émouvante que la précédente.

     Le coiffeur, qui n’avait pas de client pendant l’intervention d’Elodia, après avoir mêlé ses applaudissements à ceux du public, retourne à son fauteuil où vient de s’installer un habitué : comme d’autres élégants du quartier et de Buenos Aires, il ne changerait de salon pour rien au monde. Il faut dire que c’est un lieu insolite, à la fois un musée, une scène de théâtre ou de cinéma populaire, comme seule la Capitale argentine sait en procurer aux curieux, désireux de sortir des sentiers battus. Et «La Epoca» récompense généreusement du choix qu’on fait de s’y rendre, soit pour se faire couper les cheveux, soit pour assister à une peña hebdomadaire, soit pour conjuguer les deux plaisirs. Le patron, bel homme de grande allure, ne déparerait pas au Teatro Colón, tant il met de soin dans le costume raffiné qu’il porte et qu’il impose à ses employés et apprentis : gilet à fleurs de soie brodées sur une chemise blanche cravatée, pantalon noir, souliers vernis et barbe soigneusement taillée. Il est, à Buenos Aires, Le Barbier par excellence et l’on vient de loin pour soigner cette pilosité à la mode ! Ceux qui s’installent dans son fauteuil ne sont pas déçus car il exerce avec dextérité, et bien sûr la théâtralité qui sied à ce salon original, le tout avec le sourire… et cet humour argentin si déroutant ! Celui qui ne connaît pas le lieu pourrait redouter l’égorgement quand le rasoir s’approche de sa peau, avec des gestes appuyés, mais c’est tout en douceur que le maestro passe l’instrument. Et sur fond sonore de tango qui donne des frissons et se marie si bien avec le décor et la boutique, véritable musée de la coiffure. Les multiples et imposantes vitrines en noyer débordent d’instruments astiqués bien qu’antiques : ciseaux, rasoirs, flacons pulvérisateurs en métal, blaireaux de toutes tailles, savonnettes, fers à friser, petits miroirs de toutes formes, peignes et brosses… Et surtout, ces sièges massifs à l’ancienne, ces lave-cheveux démodés, ces casques à friser en bakélite… Tout un bric à brac qui intrigue, fascine d’autant plus qu’il est encore entretenu et utilisé. Une grotte d’Ali Baba de la coiffure, dont des éléments débordent sur le trottoir pour attirer l’attention sur l’enseigne.

   Mario chante maintenant, encouragé par l’auditoire. C’est un petit homme rabougri, malingre et visiblement timide. Bien que très propret pour la circonstance, il n’a pas, comme Elodia, fait de frais de toilette et, pour chanter, il a simplement remis sa veste un peu défraîchie. Mal assuré lui aussi de la fidélité de sa mémoire, il a placé sa partition sur un pupitre tout proche. « Il est veuf depuis moins d’un an, dit une femme à sa voisine, le pauvre, il a bien besoin de nous et de nos peñas régulières ! » Son filet de voix passe difficilement mais il a entamé, avec un air de circonstance, «Mi noche triste». Toute l’assistance frémit car c’est un tango de référence de Gardel, l’idole qu’il ne faut surtout pas ternir… Mario fait l’impossible pour être à la hauteur et tout le monde comprend son choix et compatit quand il chante : « La nuit, quand je me couche / je ne peux fermer la porte / parce qu’en la laissant ouverte / ça me donne l’illusion que tu vas revenir. » On sent qu’il y a, dans la voix du chanteur, des sanglots refoulés et toute la salle sait que chaque participant est plus ou moins concerné par cette solitude désespérée, que d’autres tangos disent dans tout le répertoire. Mario a soudain un léger trou de mémoire et se raccroche vite à sa partition pour terminer laborieusement, mais sous de sincères applaudissements. Une femme des premiers rangs se lève, lui apporte un verre d’eau et l’embrasse avec émotion. Tous les participants, pour la majorité des seniors confirmés, se connaissent de longue date et partagent les mêmes petits bonheurs, les tracasseries quotidiennes et les plus grands malheurs d’une vie sur le déclin. On devine que ces réunions hebdomadaires sont pétries de solidarité et que pour tous ces isolés, ce rendez-vous social est le baume au coeur indispensable.

   Et déjà un autre chanteur amateur est en piste. Celui-là est connu pour chanter de temps en temps dans les bars et restaurants, et pour avoir participé au Comité qui a travaillé à la conception du Monument du Bandonéon. C’est une des vedettes occasionnelles de toutes ces soirées, un demi-professionnel et tout le monde admet qu’il sera le meilleur du point de vue artistique. Mais qui se soucie véritablement de classements artificiels, dans ces réunions populaires où le plus important reste la rencontre, dans ce lieu chaleureux créé par le coiffeur pour partager une même culture, celle du tango chanté, telle qu’elle vit depuis des décennies dans la convivialité portègne ? Et Julio, qui chante maintenant, incarne totalement et avec brio cette intention, lui qui est plus flamboyant que son prédécesseur. Veston bleu marine impeccable sur un pantalon au pli net, cravate et pochette rouges, il affiche son habitude de la scène. Sa complicité avec le vieux musicien accompagnateur est évidente, et les accords semblent sortir du fueye aussi spontanément qu’harmonieusement. Solidement campé sur ses jambes tendues, le torse en avant, Julio déploie en effet un volume qui sied au tango qu’il a choisi : «Viejo smoking», dans la version musicale de Juan Maglio, un peu canyengue, a-t-il annoncé. Et Julio a le sourire de circonstance et fait mine d’épousseter son revers de veste quand il dit malicieusement : « Vieux smoking, combien de fois / Les plus jolies milongueras / Ont couvert de poudre et de rouge / Le brillant de ton revers… » Toute l’assistance sourit à l’humour amer de cette composition un peu méconnue, mais ici, c’est aussi l’endroit où on sait exhumer et choisir des tangos moins en vogue. Même l’apprenti, jeune gandin en for­mation, a abandonné momentanément son poste, pour écouter le chanteur, fasciné par le jeu de Julio et sa vivante interprétation qui déclenche une belle approbation de l’auditoire attentif.

   Après lui, tous les autres chanteurs font pâle figure, mais déploient tout autant de conviction dans l’interprétation, tandis que le mozo circule difficilement entre les tables pour faire payer les consommations et que deux dames préparent le tirage de la tombola. C’est en effet une autre habitude de la maison : chacun recherche ou confectionne un objet en rapport avec le tango et on puise dans le stock pour offrir un lot à deux auditeurs du jour. C’est Elodia qui gagne aujourd’hui une carte postale ancienne qui représente le couple de danseurs El Cachafaz et Carmencita, vieille photo figée auréolée de roses. Mais c’est un document et Elodia, sans se soucier de son rouge baiser, embrasse la carte avec fougue pour montrer son plaisir « Me encanta ! » Et elle en profite pour proposer une chanson de clôture que personne ne se risque à refuser. Fine mouche, elle a repéré des touristes français dans la salle et elle propose «Griseta». Elle y met une implication entière, insistant sur tous les prénoms qui évoquent les destins tragiques des Musette, Mimi et autres Manon… Elle termine en envoyant des baisers à toute l’assistance, diva grisée par les derniers applaudissements.

   Comme quelques autres participants, elle est moins à l’aise quand elle doit se déplacer, son embonpoint étant un vrai handicap. Et c’est en s’appuyant sur le bras de sa voisine qu’elle s’engage dans la rue pour regagner son domicile, silhouette insolite dans un environnement quelconque où les passants filent tête baissée, sans même regarder vers la boutique du coiffeur. Mais à Buenos Aires, les gens sont de longue date habitués à toutes les surprises et ne s’en étonnent plus. Les deux femmes marchent lentement, contentes de leur soirée, il ne leur viendrait pas à l’idée de critiquer qui que ce soit sur son interprétation. L’essentiel n’était-il pas de se retrouver pour tromper la solitude et contribuer à cette vitalité du tango dans le quartier et dans la ville ? Et déjà d’envisager et de préparer la prochaine peña ? Car il ne suffit pas de connaître les paroles depuis l’enfance, en bon Argentin, pour savoir les interpréter. Il faut écouter des enregistrements divers, travailler, sans imiter servilement les vedettes, pour y mettre un peu de soi-même et de sa vie. Dernière réflexion de Maria qui accompagne Elodia : « Ce Julio, il est bel homme ! sais-tu s’il est célibataire ? » Elodia rentre en pouffant dans son petit appartement où elle retrouve son bichon et son chat. Elle sent brus­quement tomber le poids de la solitude qu’elle aimerait bien tromper, elle aussi, avec un compagnon. Et elle a beau parler à ses animaux, mettre la télévision, elle se sent solitaire et démunie car il y a si longtemps qu’un homme ne l’a pas courtisée. Elle souhaiterait se sentir protégée. Heureusement, elle habite au rez-de-chaussée et bien qu’elle craigne parfois les intrusions, elle apprécie d’être de plain pied avec la rue pour ses déplacements indispensables. Maintenant, enfoncée dans son canapé, elle se sert un verre de vin et écoute distraitement une émission qui ne l’intéresse pas. Alors, comme souvent le soir, elle prend un album de photos pour y retrouver ses souvenirs, ceux d’une époque où elle était encore jeune, mince, élégante et désirable… Celle où elle fréquentait les milongas, dansait une bonne partie de la nuit et, femme libre, n’hésitait pas à partager son lit. Mais comme elle ne voulait pas se sentir attachée, et encore moins sous la coupe d’un compatriote macho, elle ne s’est jamais mariée ; si elle a connu des aven­tures, maintenant elle sait que son tour est passé et qu’elle sera seule jusqu’à la fin. Comme Maria, elle peut toujours rêver d’une aventure avec l’un des hommes de la petite compagnie du coiffeur, mais elle ne voit pas lequel lui plairait vraiment, à part le Figaro lui-même, mais il est trop jeune et trop beau ! Comme beaucoup d’autres qui viennent régulièrement à la peña, elle devra donc seulement se contenter d’un peu de cette chaleur humaine que la grande ville leur refuse. Elle finit son verre, se contente de grignoter quelques restes et s’ installe devant son mi­roir, lui aussi défraîchi, pour se démaquiller laborieusement. Pour faire bonne figure, elle a mis la dose de fond de teint, de kohl et de rouge baiser… Quand elle a termi­né, elle est effrayée par le visage défait qu’elle présente, ses poches sous les yeux, ses bajoues et par les chairs effondrées de son corps. Elle fond en larmes, face à son propre reflet. Et lui revient le refrain d’ «Angustia» qu’elle chantait à la peña :

 

« Llora, llora, Corazón,

Llora si tienes por qué … »

« Pleure, pleure, mon coeur

Pleure si tu sais pour quoi »

 

Le bichon, qui s’est couché à ses pieds, la regarde avec un air interrogateur qui pourrait passer pour de la compassion et elle le prend dans ses bras. Elle retourne sur son canapé et décide qu’à la prochaine peña, elle sortira de son registre des tangos : elle chantera une zamba, plus gaie. Pendant la semaine qui vient, elle essaiera de se remémorer et de travailler les pas de cette danse qu’elle connaît déjà : voilà une initiative qui étonnera l’assistance. Et pourquoi pas chercher à entraîner un des hommes du groupe, comme partenaire ? Les Argentins ne font-ils pas de cette danse d’amour le contrepoint folklorique du tango ? Qui sait si dans le tournoiement fascinant du foulard, elle ne capturera pas son danseur ? Et c’est dans ce rêve coloré qu’Elodia s’endort sur le canapé, le bichon lové sur ses genoux. 

 

On trouvera ci -dessous ( et après chaque nouvelle publiée ), pour les lecteurs qui découvrent la culture sud-américaine et le monde du tango, un répertoire des mots argentins utilisés dans le texte, un index des tangos cités ( se reporter aux sites todotango ou bibletango pour les écouter ) et des personnages, lieux, événements… auxquels il est fait allusion : 

  • Canyengue : manière de danser en imitant les Noirs par accentuation des postures ( position canaille joue contre joue, genoux un peu fléchis, déhanchement du bassin.) Pour utiliser les syncopes et les changements de rythme, la musique joue sur les effets de bruitage, en frappant par exemple les caisses des instruments. La danse canyengue paraît un peu comme un jeu…

    Fueye ou fuelle ( el ) : soufflet du bandonéon et par extension, l’instrument lui même, selon le vocabulaire familier des musiciens.

    Marcato ( el ) : au bandonéon, c’est une manière de souligner notes et accords, par une technique qui consiste à accentuer l’effet musical en soulevant le soufflet sur le genou, en l’étirant, et en le laissant retomber tout en plaquant les boutons nerveusement.

    Milonga ( la ) : nom donné au bal de salon consacré exclusivement au tango argentin, dans un cadre de rencontres sociales. C’est aussi l’une des trois formes, avec le tango proprement dit et la “vals”, qui diversifient le registre de cette danse.

    Mozo(a) ( el – la ) : jeune homme ou jeune fille et par extension, garçon de café, serveuse.

    Peña ( la ) : rencontre informelle de musiciens et chanteurs souvent dans des bars typiques où le public vient écouter, mais aussi manger et boire, parfois participer de manière impromptue ! ( Voir l’article du 29/11/2014 sur les peñas folcloricas ).

    Zamba ( la ) : genre musical et chorégraphique, d’origine hispanique, au rythme lent et élégant ( ne pas confondre avec la samba brésilienne ). C’est une danse de séduction où les partenaires agitent des foulards et s’en servent au final pour s’enlacer. ( Relire mon article du 29/04/2015 : La zamba, une danse d’amour. )

  • Angustia ( Angoisse ) : tango, musique et letra de Horacio Pettorossi ( 1925 ? ) où il est beaucoup question, dans le refrain ( “llorar por una mujer” ) du coeur qui pleure un amour perdu. Gardel en donna sa version en 1933.

    Griseta ( Grisette ) : tango, musique de Enrique Delfino et letra de José Gonzáles Castillo ( 1924 ) qui met en scène une grisette, prostituée d’origine française, qui comptait sur un destin brillant à Buenos Aires, mais mourut tristement comme Mimi et Manon, les héroïnes d’Opéra.

    Mi noche triste ( Ma nuit triste ) : tango, musique de Samuel Castriota et letra de Pascual Contursi ( 1916 ). Ce morceau passe pour être le premier tango canción, d’autant plus illustre qu’il fut interprété par Gardel en 1917 à un moment où il passait des dominantes folkloriques de son répertoire à celles du tango.

    Viejo smoking ( Vieux Smoking ) : tango, musique de Guillermo Barbieri, letra de Celodonio Flores ( 1930 ) : ce texte, d’un des premiers poètes du genre, se lamente sur un vieux smoking, témoin défraîchi par le temps d’une carrière de séducteur, vieilli et abandonné lui aussi.

  • El Cachafaz : avec sa partenaire, Carmencita, ils formaient le couple de danseurs légendaires des années 30, très inventif. Suite à des tournées internationales, il a fondé son academia d’enseignement.

    La Epoca : un salon de coiffure célèbre dans le quartier de Caballito. C’est un véritable musée de la coiffure, doublé d’un bar où s’organise régulièrement une peña populaire avec les gens du secteur. Le lieu étant exigu, le propriétaire vient de déménager dans un espace plus grand, mais où il entend maintenir le même esprit. ( Relire sur ce sujet, mes deux articles, abondamment illustrés des 20/12/2014 et 03/03/2018. )

    Rinaldi Susana : chanteuse et actrice née en 1935, surnommée « La Tana » ( La Ritale ) , très impressionnante en scène par sa vitalité, sa théâtralité et son aura. Forte personnalité, elle reste une figure emblématique des chanteuses contemporaines et fut attachée culturelle à l’Ambassade d’Argentine à Paris, ville avec laquelle elle a toujours entretenu des liens étroits.

par chabannonmaurice

UN HOMMAGE AUX FEMMES QUI ILLUMINENT LE TANGO.

      Dans mon dernier article, j’annonçais une surprise pour les lecteurs, danseurs, chanteurs et autres amis amoureux de l’Argentine. Après la publication de mon roman « La vie est une milonga » en 2017, et donc depuis plus de deux ans, j’ai en effet repris la rédaction de Nouvelles et Récits que je me proposais de publier au printemps dernier. Dans l’écriture, j’ai retrouvé ainsi, à partir de rencontres réelles et du plaisir qu’elles m’ont procuré, l’alacrité des saynètes, à la mode de certains tangos mettant en scène des personnages de la vie populaire. Je pense à « A media luz », « La ultima curda » ou « Nino bien » et bien d’autres

   En effet, chaque fois que nous sommes allés à Buenos Aires, les rencontres que nous avons pu faire ont toujours été étonnantes, conviviales et enrichissantes. Avec le phénomène « boule de neige » qui fait qu’une personnalité en présente une autre et qu’une tablée comporte toujours des personnages hauts en couleurs. Nous avons eu ainsi la chance de rencontrer certes des célébrités en tous genres, des animateurs de casas de tango, de milongas, de peñas, et des musiciens, comme les bandonéonistes de« Los Reyes del tango » ou de « Sans souci » dont la modestie m’a toujours étonné, eu égard à leur immense talent. Mais nous avons aussi cherché à partager des moments de la vie quotidienne des portègnes que nous avons côtoyés dans la capitale mais aussi des habitants du pays. Nous nous sommes même mêlés à des manifestations de rue pour comprendre les revendications des participants. J’ai déjà eu l’occasion de parler de toutes ces rencontres dont certains protagonistes sont aujourd’hui disparus. En parcourant les articles précédents de ce blog, vous pourrez trouver des relations de ces instants exceptionnels.               

   Mes observations du moment, consignées au fil des jours dans 4 carnets – où je notais aussi quelques figures apprises en cours – ont naturellement servi de terreau fertile à mes écrits précédents. Mais, pour ces dernières nouvelles, j’ai choisi délibérément de distinguer les femmes : pas seulement pour la beauté et l’élégance de beaucoup d’entre elles, fruit sans doute du métissage de l’immigration, mais parce qu’elles m’ont fasciné par leur grande énergie, associée à la finesse de leur jugement dans une société réputée machiste où elles prennent cependant toute leur place. Dans la préface que j’avais prévue, j’écris d’ailleurs : « Et de mes rencontres surgissent de belles figures, de la partenaire de danse aux fioritures discrètes à la musicienne aux cheveux noir de jais, sans oublier la vieille quechua mutique qui nous accueillit du côté de Cafayate, dans le cadre d’un tourisme géré par les nativos. » On aura bien sûr compris combien je suis sensible à l’univers féminin. Dans ma vie professionnelle, j’ai d’ailleurs côtoyé beaucoup de femmes, dans des postes aux compétences diverses, et j’ai toujours été conquis par leur appétit d’action, leur sens du réalisme qui donnaient toujours à espérer et, souvent leur discrétion, sans souci de se mettre en valeur. Je constate chaque jour que, dans ma famille et chez des amis proches, les femmes jouent pleinement ce rôle et mes écrits leur rendent quelque part aussi une admiration appuyée.

« Cascabel, cascabelito,                                                                                                                                  Rie, no tengas cuidado                                                                                                                            Que aunque no estoy a tu lado.                                                                                                                    Te levo en mi corazón » 

« Fille espiègle au rire de grelot,                                                                                                                Ris, ne fais pas attention                                                                                                                               Bien que je ne sois pas à tes côtés,                                                                                                           Je te porte dans mon coeur. »  

CASCABELITO, tango de 1924,                                                                                                             Musique : José Bohr, letra :  Juan Andrés Caruso.

   Comme j’ai dû renoncer pour l’instant à la publication de ces écrits récents du fait du confinement et de la suspension de toutes les activités autour du tango et de la culture argentine, j’aurai plaisir à en diffuser régulièrement sur ce blog, avec l’ espoir qu’elles contribueront à maintenir le moral des danseurs et à entretenir la flamme des relations privilégiées avec la culture rioplatense. En ce sens les avis et retour des lecteurs seront bienvenus.                          Première nouvelle  » Elodia » publiée très bientôt. 

   Et pour illustrer cet hommage rendu aux femmes, je ne résiste pas au plaisir de joindre une photo de Gardel en charmante compagnie, mais bien évidemment, sans aucune prétention à un quelconque rapprochement avec El Morocho

 

 

 

 

par chabannonmaurice

BUENOS AIRES VEUT PASSER AU VERT …

Tous ceux qui connaissent et aiment la ville « qui ne dort jamais », en ont ressenti et détesté la pollution, notamment avec un trafic automobile aussi intense que désordonné, entre les bus fumants et bruyants et les taxis qui se faufilent partout. Sans parler du traitement des déchets domestiques visibles sur les trottoirs, fruits d’une indiscipline toute latine qu’on peut vérifier avec les photos ci-dessous. Elles témoignent aussi de la misère de certains quartiers et de sa population.

 

       

 

Certes, sur ce dernier point, des efforts ont été faits avec un ramassage plus rationnel, y compris pour les cartoneros qui se sont organisés avec l’appui de la ville.  Par ailleurs, des pistes cyclables ont peu à peu été créées, même s’il peut être dangereux pour les pratiquants de cohabiter avec les autres véhicules, et pour les piétons d’être attentifs aux vélos. Enfin la ville dispose surtout d’un atout non négligeable avec ses parcs et plantations urbaines, dont beaucoup ont été initiées par le paysagiste français, Charles Thays.

Les bonnes intentions et les possibilités sont donc là et je reprends ci après un article récent de COURRIER INTERNATIONAL, qui fait état des projets de la ville, en reprenant une publication de La Nacion, journal prompt à s’enthousiasmer des propositions de son bord . Reste à voir si  elles aboutiront…

Changement climatiqueBuenos Aires enclenche sa mutation écolo

La municipalité de Buenos Aires lance un ambitieux programme pour atteindre, d’ici à 2050, l’objectif d’une neutralité de ses émissions de CO2. Une ambition qui, pour se concrétiser, passera aussi par un changement des comportements des citadins, explique La Nación.

La pandémie n’arrêtera pas les plans de la Ville de Buenos Aires : d’ici à 2050, rapporte La Nación, Buenos Aires “devra avoir annulé les effets négatifs du changement climatique, en conformité avec les principes de l’Accord de Paris signés par l’Argentine en 2016.”

Le chargé de l’Environnement de la capitale argentine, Eduardo Macchiavelli, prévoit donc, en lien avec l’État, un vaste programme qui ambitionne de rendre la capitale “neutre en émissions carbone, résiliente et inclusive” d’ici 2050, en réduisant même les émissions de CO2 de 10% dès la fin de cette année 2020.

La pandémie a clairement montré l’impact de l’action de l’homme sur la nature, estime le haut fonctionnaire, cité par le quotidien de Buenos Aires. “Cette situation nous concerne tous et nous oblige à modifier nos habitudes de consommation.” 

Mais indépendamment de la pandémie, Buenos Aires est tout autant sujette que nombre de capitales du monde à la fréquence accrue de canicules, de sécheresses et d’inondations, effets du changement climatique.

Des fronts multiples pour agir

Pour atteindre ce cap de 2050, les stratégies de la capitale porteña (de Buenos Aires) sont aussi classiques qu’impérieuses : des transports collectifs plus nombreux et sobres en consommation d’énergie, une amplification du réseau de pistes cyclables – qui couvrent aujourd’hui 250 km dans la ville -la réduction du nombre de véhicules particuliers polluants, une politique assidue de recyclage, des espaces verts plus prégnants, le recours massif à des énergies propres comme les panneaux solaires. Ou comme les LED qui équipent depuis 2019 l’éclairage public et “ont fait de Buenos Aires la première ville de la région avec 100% d’éclairage public recourant à ce moyen, ce qui a évité l’émission de 44 000 tonnes de CO2 en un an” indique La Nación.

Sensibiliser l’opinion

Cette politique volontariste de la Ville aura aussi un volet incitatif auprès des citadins, poursuit le journal. A l’heure actuelle, “30% du total des émissions de gaz à effet de serre émane des foyers.” Des actions seront donc menées pour former les habitants à économiser et réduire leur consommation d’énergie et pour les détourner de l’usage de la voiture.

Un récent sondage a montré que les Argentins ont bien conscience des menaces du changement climatique et que 70% “s’en inquiètent”, relate un autre article de La Nación“Mais force est de constater que nous ne réagissons pas collectivement de manière proportionnée au danger.”

Cet article a été publié dans sa version originale le 07/08/2020.
Source
La Nación
BUENOS AIRES

Fondé en 1870 par l’ex-président Bartolomé Mitre (1862-1868), ce quotidien national plutôt conservateur est l’un des journaux les plus lus du pays. Depuis l’arrivée au pouvoir des Kirchner, en 2003, il a trouvé sa place parmi les titres d’opposition. Sa distance face à la guerre qui oppose le gouvernement au groupe multimédia Clarín lui a fait gagner des lecteurs.

Attaché à son format d’origine, il garde un côté un peu désuet. Il a été récompensé à plusieurs reprises : en 1942 et en 1963 par l’université Columbia, en 1951 par l’UNESCO. Sa rubrique internationale, qui occupe les premières pages, contribue à sa réputation.

La Nación fut le premier journal argentin à s’implanter sur le web, en 1995. Efficace, facile à utiliser et agréable à consulter, le site est d’abord un portail d’information et de services. Il donne accès à l’édition papier, aux suppléments et aux autres titres du groupe.

ATTENTION ! A PARTIR DU 1ER SEPTEMBRE? JE RESERVE UNE SURPRISE A TOUS LES FIDELES LECTEURS DE MES ROMANS ET AUX ABONNES DE CE BLOG… 

par chabannonmaurice

EDUARDO AROLAS, « El Tigre del bandoneon » ( 1892- 1924 )

         J’ai déjà consacré divers articles au bandonéon, instrument de la magie du tango, instrument roi des tipicas. Mon dernier écrit en date était du 11 juillet dernier, jour célébrant le fueye. Quand on parcourt une anthologie du tango, il n’est donc pas étonnant de retrouver le bandonéon au détour des letras de nombreux morceaux, souvent parce qu’il exprime et accompagne la douleur des ruptures ou la nostalgie des jours heureux ou le regret du pays perdu.

 Mais il est aussi  présent dans des tangos écrits en hommage aux grands interprètes et je relèverai aujourd’hui quelques-uns qui ont été consacrés à Eduardo Arolas, l’un des premiers grands bandonéonistes notables, précurseur de la Guardia Vieja et un des socles du tango moderne. Quand les cendres de ce musicien compositeur et chef d’orchestre, mort tragiquement à Paris, à 32 ans, furent rapatriées à Buenos Aires, en 1954, Héctor Marco écrivit – musique et texte – un bel hommage  » El fueye de Arolas » :                                                                                   

« Silencio muchachos…de pie la milonga…                                                                                                    Silence, les gars, debout la milonga…                                                                                                          Il est revenu aux balcons du quartier et à ses admirateurs,                                                                      Arolas, le mage des bandonéons,                                                                                                                Voyageur de la Marne et bohême incorrigible. »                                                                                           

Hommage lui avait déjà été rendu par le poète Enrique Cadicamo, sur une musique d’Angel D’Agostino avec le tango « Adios Arolas » écrit en 1949 :                                                                           

« Con tu bandoneon querido,                                                                                                                          Eduardo Arolas, te fuiste,                                                                                                                              Eduardo Arolas, tu t’en fus…                                                                                                                          Il ne se sépara pas de toi,                                                                                                                              Cet amour que tu fuyais,                                                                                                                                Et pendant ta fuite,                                                                                                                                        Une ombre de femme te poursuivait. »                                                                                                     

Ces deux tangos, en peu de mots, résument le talent et la vie courte et tourmentée d’un artiste que ses contemporains et héritiers admiraient. Et assez étonnamment, Arolas inscrit sa propre histoire avec les thèmes qui sont ceux de bien des textes du tango : la vedette, le mari trompé inconsolable, l’exil, le bambocheur, l’alcool, les cabarets, les femmes, la maladie, la fin dramatique… C’est donc un personnage extrêmement attachant dont les danseurs non argentins ignorent souvent le nom, alors qu’ils évoluent sur quelques uns de ses plus grands succès « Comme il faut », « Retintin »,  » Derecho Viejo » ou « La Cachila »,  par exemple.   

 

Il est donc intéressant de fouiller un peu la vie de ce musicien pour mieux apprécier son oeuvre et comprendre la fascination qu’il a pu exercer sur d’autres grands artistes du tango, car, à son époque, il put jouir d’une notoriété proche de celle de Gardel.  Né dans le quartier sud de Barracas,( là où se trouve La Gloriette, un rendez vous sympathique des milongas de plein air ) et descendant d’une immigration française catalane, il fut musicien d’oreille et d’instinct, bien que ne connaissant pas la musique. Guitariste au départ, il vient vite au bandonéon et à 17 ans, en 1909, il compose à l’oreille son premier tango « Noche de Garufa »  et reçoit vite l’appui de Canaro et Mochi pour l’orchestration. Il comprend alors l’intérêt d’études musicales qu’il entreprend avec des maestros, dans divers conservatoires durant trois années, et en fréquentant des musiciens chevronnés comme Vicente Greco et Roberto Firpo. Il joue alors dans les cafés et monte vite un trio puis un quatuor, avec Augusto Bardi. Firpo lui propose d’entrer dans l’orchestre qu’il vient de fonder avec Canaro et qui fait les beaux jours de l’Armenonville, l’un des cabarets en vogue. Arolas continue de composer en mariant sa dextérité au bando et ses connaissances musicales renforcées et les contemporains, comme les musicologues plus tard s’accordent sur les avancées modernes de son tempo rythmique et sonore, et sur ses mélodies chantantes. Il aura d’ailleurs l’occasion de rencontrer des vedettes du moment, le duo Gardel – Razzano qui alterne avec l’orchestre à l’Armenonville, le danseur El Cachafaz et Arthur Rubinstein, entre autres. Très vite, il montera son propre orchestre après les dissensions qui séparent Canaro et Firpo et invente le sexteto ( 2 violons, 2 bandonéons, 1 piano, une contrebasse. ) 

   C’est aussi parce qu’il a une vie tourmentée qu’Arolas ne trouve plus sa place dans sa capitale natale et voyage beaucoup. Il a en effet rencontré une jeune femme Délia Lopez dont il est éperdument amoureux et qui va le tromper avec son frère aîné, musicien lui aussi et quelque part son tuteur familial et musical. Blessé par cette double trahison, il va s’exiler d’abord à Montevidéo, tente de revenir à Buenos Aires et finalement s’installe définitivement en France, à Paris mais joue aussi sur la Côte d’Azur. Mais surtout, il s’adonne à l’alcool, à la bamboche et trempe dans quelques affaires louches qui justifient aussi sa fuite. Il tombe dans la dépression, ne compose presque plus, et meurt à Paris, avec deux versions de cette triste fin : malade de la tuberculose ou ( et ) victime d’une agression à la sortie d’un cabaret. Il fut enterré à Paris mais ses cendres seront ramenées plus tard à Buenos Aires où hommage leur sera rendu avant inhumation au Cimetière de La Chacarita. On dit qu’il mourut en invoquant Délia et que le tango « La Cachila » lui est sans doute dédié, avec ses deux thèmes, un triste, un brillant. Dans son site Calaméo, Giovanni Minicelli, souligne que tous les éléments dramatiques du tango sont présents dans les épisodes de cette courte vie :  » La douloureuse réunion de l’amour et de la trahison dans le lit de la passion, un combat archaïque entre la vie et la mort, dont on sait, au plus profond de nous qui sera l’ultime vainqueur ».

   La discographie des oeuvres d’Arolas est copieuse, avec plus de cent compositions de qualité, propices à des arrangements dont les successeurs ne se sont pas privés.  Il est intéressant de noter que certaines d’entre elles ont eu aussi une histoire détournée, toujours en accord avec les thèmes du tango. « Comme il faut »  était à l’origine « Comparsa Criolla »; « Retintin », dédié au départ à Rafael Tuegols, violoniste virtuose, reçut le nom d’un cheval de course sans doute à cause du financement de l’oeuvre par le propriétaire; « La guittarita » fut enregistrée par Gardel sous le titre « Que querès con esa cara ». 

   Pour le amateurs qui voudraient fouiller plus cette vie exceptionnelle, je conseille de consulter les sites suivants plus prolixes sur cet artiste un peu moins célébré que d’autres :                           * Todo tango :  https://www.todotango.com/english/artists/biography/23/Eduardo-Arolas/                 * Investigacion Tango :  http://www.investigaciontango.com                                                                     * Calaméo : http://www.calameo.com › books                                                                                                       * Escuela de tango de Buenos Aires : https://escuelatangoba.com/buenosaires/historia-del-tango-parte-9-eduardo-arolas-la-e                                                                                                             

Bien sûr, il faut aussi consulter l’article du « Dictionnaire passionné du tango », déjà cité dans mes articles précédents. Sur les sites précités, on peut écouter de multiples enregistrements. Terminons par une citation extraite d’un autre tango en souvenir d’Arolas, « Recordando a Arolas », musique de Sebastian Piana et letra de Leon Benaros (1951)                                                   

« Le soufflet, il l’a trouvé à son baptême,                                                                                              Il était de cette marmaille                                                                                                                    Qui, entre coup de talon et figure de sentada                                                                                    Arrachait le plancher en dansant.                                                                                                    Du tango, il a fait des merveilles… »                                                                                          

 

par chabannonmaurice

EN BONNE COMPAGNIE, AVEC CARLOS GARDEL.

 

        Personnage mythique, et pas seulement en Argentine, Gardel continue d’inspirer les écrivains et parfois sur des épisodes moins connus de sa vie.

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            J’avais repéré dans des recommandations de lecture, un roman publié récemment en français et au titre intriguant  » La Maîtresse de Carlos Gardel « . ( Zulma – janvier 2019 ). Mayra Santos-Febres, son auteure portoricaine, pour cette seconde publication, s’intéresse à Carlitos lors de son passage dans l’île où elle est née, et si tout le monde sait que la vedette a fait une grande tournée en Amérique du Sud et trouvé la mort à Medellin en Colombie, j’ignorais pour ma part cette tournée dans le pays de l’auteure. 

Mayra Santos-Febres brode autour de ce voyage et prétend que suite à des ennuis de santé et des défaillances vocales, le chanteur a fait appel à Mano Santa, la grand mère de l’héroine, Micaela, sorte de guérisseuse un peu sorcière et grande utilisatrice de mystérieuses plantes locales. Micaela ayant assisté sa grand mère, le Zorzal en aurait profité pour mettre la jeune femme dans son lit. Vraisemblable mais improbable si l’on note que lors de la tournée dans les différents pays d’Amérique du Sud, le chanteur était assailli par des admiratrices en tout genre parmi lesquelles les plus belles femmes de la haute société.

 

Quoi qu’il en soit, c’est prétexte à  » un roman foisonnant, sensuel, inoubliable, qui entremêle la destinée d’une jeune femme en devenir à celle du roi du tango argentin » ( présentation de Zulma ). Pour ma part, j’ai surtout aimé l’énergie de l’héroïne pour se sortir d’une condition précaire et de l’emprise du chanteur, lequel lui a communiqué à travers ses tangos et sa tournée artistique « le goût de saisir la vie à bras le corps ».  J’ai aussi aimé le livre par son côté à la fois insolite et exubérant, mais en gardant toujours le recul dû au respect de l’idole sur laquelle tout a été écrit, notamment par rapport à sa vie sentimentale et sexuelle. J’ignorais cette tournée à Porto-Rico et j’ai fait appel à notre ami André Vagnon, grand connaisseur des ressources argentines, qui en quelques heures, en fouillant des documents divers et notamment ceux de la « Fundacion Carlos Gardel »  ( fundacioncarlosgardel.com ) m’a trouvé des précisions sur ce périple. Si vous voulez mieux connaître le chanteur, n’hésitez pas à consulter ce site.

Il semblerait que l’auteure ait suivi assez fidèlement une tournée mouvementée, dans un contexte qui déclencha un véritable engouement populaire à tel point que, prévu pour dix jours, le séjour dura 23 jours !  Gardel se produisit dans 22 représentations, parfois deux par jour, dans les principales villes et selon son parolier Le Pera, chaque soirée était « une fête nationale ». Il semblerait aussi que le surmenage qui s’ensuivit pour le chanteur ait obligé celui-ci à suspendre une représentation pour dysphonie. Les journaux locaux donnent alors des compte-rendus dithyrambiques et des photos pittoresques, notamment de la star dans les plus belles voitures ou entourée de femmes élégantes… On se battait déjà pour avoir des autographes et approcher l’idole et plus tard, lors de sa tournée au Vénézuela, des admirateurs allèrent jusqu’à grimper sur sa voiture et à déchirer la capote pour pouvoir le toucher

Mayra Santos-Febres s’est donc inspirée de très près de ces archives et elle transcende certaines d’entre elles, notamment pour la relation du concert au « Paramount » : 

 » Les musiciens ont achevé d’accorder leurs guitares sur scène. Alors Gardel a chanté … Miel épais. Densité du musc. Les ondes de sa voix m’ont enveloppée, comme un bain d’onguents, la caresse d’un baume…Et cette voix était aussi le regret qui efface tout chemin dans la mémoire. On doit retourner à cet endroit vrai, à soi. On doit en revenir, brisé, en lambeaux, mais être de retour. Tel était le sens de sa voix. »

Dans le roman, il est aussi question de la vie du Francesito, de ses épisodes les plus marquants et les plus controversés : sa naissance, ses rencontres artistiques, son exemption de service militaire, son duel puis duo avec Razzano. Car il est vrai que la presse locale portoricaine avait déjà profité des entretiens avec la vedette pour revenir sur certains de ces épisodes. Francisco Acebedo, journaliste au « Puerto Rico ilustrado » n’avait pas manqué de soulever la polémique sur sa naissance, lieu et date, et il paraît que Le Morocho répondait avec humour et désinvolture « Je suis né à Buenos Aires à deux ans et demi »…   

J’ai donc été incité à revenir à un ouvrage biographique,  » Carlos Gardel para todos » de Augusto Fernandez ( Ediciones Portenas Buenos Aires 1996- écrit en espagnol ). Et j’y ai redécouvert des rubriques qui tentent d’éclaircir divers points, du point de vue d’un argentin, évidemment : la naissance de Carlos ; Berta Gardes, sa mère ; l’enfance et les débuts du chanteur ; l’apogée de sa carrière ; les tournées à Paris et New York ; la tragédie de Medellin. L’auteur insiste sur la qualité du duo Gardel-Razzano et un peu moins sur le rôle de la baronne de Wakefield, son amante, qui finança films et cadeaux pour la vedette ! L’ouvrage se termine par une anthologie d’oeuvres fameuses du chanteur, par une discographie et par un étonnant article  » Je suis la soeur de Carlos Gardel « , interview donné par Fanny Lasserre à « La Dépèche du Midi » et qui révèlerait que Gardel était né d’une relation extra-conjugale longtemps cachée par une famille bourgeoise. Le fait en lui-même n’est pas nouveau, la déclaration est sans preuves convaincantes mais confirme l’origine toulousaine que peu d’admirateurs se risquent encore à contester.      

 

par chabannonmaurice

A PROPOS D’UNE LECTURE RECENTE, RETOUR VERS L’ ARGENTINE.


      En cette période de post-confinement, nous n’avons toujours pas de perspectives pour une reprise des milongas et activités culturelles autour du tango. Il y a donc un risque non négligeable, et stressant pour certains, d’enfermer le tango dans un musée où la danse prendrait des allures fantomatiques et où les artistes et professionnels seraient en perdition, voire amenés à de douloureuses reconversions. Si l’on en croit les appels à soutien qui nous parviennent de part et d’autre de l’Atlantique, on imagine bien que tous ceux qui tirent leurs ressources financières du tango sont sinon dans la détresse, du moins dans une situation économique angoissante. Il suffit de discuter, comme nous l’avons fait récemment avec les organisateurs de la milonga la plus ancienne de Nîmes, pour mesurer leur désarroi face à une situation inédite.  

   Quant aux grandes figures historiques, elles seraient définitivement statufiées dans une sorte de Musée Grévin car elles ne restent vivantes que par ce qu’on célèbre d’elles dans la danse, la musique, les conversations culturelles. Mais aussi par une certaine façon dont nous prenons plaisir à nous retrouver dans les milongas et à danser, ce que dit si bien le tango de Troilo, cité dans mes articles précédents  « Pa’que bailen los muchachos » . Pour l’instant, on ne voit pas quand nous pourrons retrouver bals, spectacles et concerts, dans des conditions normales. Certes, des stages sont programmés, puis décommandés; des tentatives de milongas sont esquissées. Mais pouvons-nous imaginer de danser masqués, à deux mètres des autres couples, et sans le moindre échange de partenaires ?

   Il me paraît donc très important – avis partagé par de nombreux amis –  de faire vivre la culture argentine et de garder actif le contexte dans lequel le tango puise ses racines et sa vitalité. Je vous parlerai bientôt de Carlos Gardel et de lectures récentes, mais je constate qu’ailleurs dans le monde, beaucoup s’emploient à maintenir vivant ce patrimoine et à tenter de sortir de la nostalgie du temps présent. Dans la lettre quotidienne de « Courrier International », édition du 26 juillet,  j’ai lu l’article ci dessous qui parle de la fascination que Buenos Aires exerce sur ses visiteurs et du rôle éclairant de Borges, grand écrivain, souvent méconnu des Européens. Bonne lecture, illustrée par quelques photos prises lors de nos voyages. 

 

Ces mots de Borges qui me transportent à Buenos Aires

Pendant des années, ce journaliste britannique a arpenté la capitale argentine avec à la main les poèmes de Jorge Luis Borges. Des mots qui lui permettent aujourd’hui de garder vivace le souvenir de la ville aimée. 
 
  
 
 

Son nom sur toutes les lèvres

Les guides de voyage étaient trop simplistes. J’avais besoin de quelqu’un d’ici pour m’aider à déchiffrer la cité. Et je l’ai trouvé en la personne d’un auteur réputé, hors d’Argentine, pour être un maître de l’énigme et de l’érudition.

Ma première rencontre avec Jorge Luis Borges (1899-1986) avait eu lieu à l’adolescence avec Le livre des êtres imaginaires (1957). À Buenos Aires, son nom était sur toutes les lèvres, et pas seulement dans les cercles lettrés. Les élégantes couvertures cartonnées de ses œuvres complètes occupaient une place d’honneur dans les rayonnages “littérature argentine” de toutes les librairies de la capitale. Son portrait surgissait très régulièrement dans la presse. Un centre culturel à son nom est même bizarrement installé au beau milieu d’une galerie commerciale du centre de la capitale.

Borges est principalement connu pour son recueil de nouvelles Fictions, mais ce sont ses poèmes qui ont le plus illuminé mes déambulations porteñas. Dans une lecture d’abord littérale, ils m’ont aidé à comprendre le bâti autour de moi. “Les rues de Buenos Aires sont déjà passées dans ma chair”, écrit-il au début de “Les Rues”, premier poème de son premier recueil de poésie Ferveur de Buenos Aires (1923). Il y chante son attachement, non au centre de la capitale, mais à ces “rues de quartier avec leur ennui paresseux”.

L’auteur recourt à des mots venus de l’arabe qui convoquent l’Andalousie. À travers Borges, je voyais l’ancien monde dans le nouveau. Dans le poème “Un Patio”, une simple cour devient “ciel enclavé, […] la pente par quoi le ciel entre dans la maison”. Jorge Luis Borges était un flâneur invétéré et se lançait dans d’épiques déambulations telle un psychogéographe des temps modernes. Il remarque “la banalité des maisons, les modestes balustrades et les heurtoirs” dans les faubourgs inconnus des touristes comme Caballito, Pompeya et Villa Ortúzar – auxquels il trouve pourtant, dans la lumière argentée du soir, “toute la réalité d’un vers”. Les plus ordinaires des rues ont la profondeur et la générosité d’un poème.

Aux lisières de la ville

Avec Lune d’en face (1925), titre de son deuxième recueil de poèmes, Borges se tourne vers l’extension de Buenos Aires à l’ouest, au-delà de l’estuaire du Río de la Plata. En marchant jusqu’aux lisières de la zone construite, vous finissiez alors par atteindre une rue qui débouchait sur la pampa. Dans son recueil suivant, Cahier San Martín (1929), Borges conclut ainsi “Fondation mythique de Buenos Aires”, un poème fameux et souvent cité :

Le désert était tout embaumé de cigares.
D’un soir à l’autre soir, l’histoire prenait place ;
On se partageait des souvenirs illusoires.
Tout était déjà là – sauf le trottoir d’en face.
Pas de commencement possible à Buenos Aires
Je le sens éternel comme l’eau, comme l’air.

Le goût du pittoresque

Comme bien des citadins, Borges déplore la disparition de ce qui a été. “L’image que nous nous faisons de la ville est toujours quelque peu anachronique. Le café a dégénéré en bar ; l’entrée qui nous laissait entrevoir les cours intérieures et la treille est maintenant un ennuyeux couloir avec un ascenseur au fond. [Cette dernière citation est extraite de “L’Indigne”, une nouvelle du recueil Le Rapport de Brodie.]

Dans mes excursions, je cherchais toujours l’ancien, le peu élevé, le beau décrépit. Cet appétit pour le pittoresque s’expliquait en partie par le fait que je suis étranger, mais il a aussi fini, au fil du temps, par me rendre un peu plus porteño, plus enclin à idéaliser le passé, fût-il réel ou imaginaire.

Et la marche se fait enquête

Comme ses récits, Borges charge sa poésie de références classiques et de méditations spéculatives. Avec lui, qui envisage Buenos Aires comme un palimpseste et une énigme, la marche se fait enquête, et cette ville vieille de cinq siècles devient aussi mystérieuse et captivante qu’un site antique en pleines fouilles archéologiques.

Arpenter une grande ville a le pouvoir de mettre du baume au cœur : la marche urbaine nous engage à bien des égards, elle nous pousse à redécouvrir ce que nous croyions familier, à nous redécouvrir nous-mêmes. Dans un de ses essais sur le poète du XIXe siècle Evaristo Carriego, Borges écrit :

Buenos Aires est profond, et jamais, dans la désillusion ou dans la peine, je ne me suis abandonné à ses rues sans recevoir une consolation inespérée, venue tantôt d’une impression d’irréalité, tantôt de guitares résonnant au fond d’une cour, ou du seul fait de côtoyer la vie.”

Buenos Aires m’a aidé à comprendre la poésie de Borges, qui à son tour m’a aidé à comprendre la ville. Aujourd’hui, alors que plusieurs années et un océan m’en séparent, pris de cette nostalgie d’un genre étrange et nouveau que fait naître le coronavirus, j’ai la chance de pouvoir relire sa poésie et de faire ainsi revivre la ville et ses couches successives de temps et de mémoire. Un mot après l’autre comme on pose un pied devant l’autre : la lecture comme voyage.

Cet article a été publié dans sa version originale le 22/05/2020.
 
Source
The Guardian
LONDRES
 
L’indépendance et la qualité caractérisent ce titre né en 1821, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. The Guardian est le journal de référence de l’intelligentsia, des enseignants et des syndicalistes. Orienté au centre gauche, il se montre très critique vis-à-vis du gouvernement conservateur.
Contrairement aux autres quotidiens de référence britanniques, le journal a tout d’abord fait le choix d’un site en accès libre, qu’il partage avec son édition dominicale, The Observer. Les deux titres de presse sont passés au format tabloïd en 2018. Cette décision s’inscrivait dans une logique de réduction des coûts, alors que The Guardian perdait de l’argent sans cesse depuis vingt ans. Une stratégie payante : en mai 2019, la directrice de la rédaction, Katharine Viner, a annoncé que le journal était bénéficiaire, une première depuis 1998.
par chabannonmaurice